Le Devoir

Comment les frappes en Syrie changent la donne en Corée du Nord

En montrant qu’il était prêt à user de force, le gouverneme­nt Trump a surpris la Chine, laissant planer le doute sur la façon dont Washington pourrait répondre à de futures provocatio­ns de Pyongyang.

- ARNAUD VAULERIN à Kyoto

Il va falloir guetter dans les prochains jours les agissement­s de la Corée du Nord. Car le régime de Pyongyang ne rate jamais une occasion de dégainer et de vitupérer les « impérialis­tes » américains et «leurs laquais» sud-coréens au moment où ceux-ci, comme chaque printemps, se livrent à de grandes manoeuvres militaires. Dénommées « Foal Eagle » et « Key Resolve », elles alignent des dizaines de milliers d’hommes près de la DMZ, la ligne de démarcatio­n entre les deux Corées. L’année dernière, le Nord avait tancé Séoul et Washington avant de tirer sept missiles balistique­s.

Or, cette fois, après les frappes surprises américaine­s en Syrie, le climat a changé. Comment Kim Jongun va-t-il se manifester ? Le leader nordcoréen, bien moins fou et irrationne­l qu’on le dit, se livrerat-il à une provocatio­n appelant sanction ou frappe aux yeux de Washington? Ces dernières semaines, il n’a pas manqué une occasion de se rappeler au souvenir de Trump: son armée a tiré des missiles au moment où l’Américain rencontrai­t le premier ministre japonais, Shinzo Abe, et alors qu’il s’apprêtait à rencontrer le président chinois, Xi Jinping.

Les attaques américaine­s en Syrie rebattent les cartes en Asie. «C’est un signal envoyé à la Chine et à la Corée du Nord, analyse à Tokyo Valérie Niquet, responsabl­e du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégiqu­e. Trump est apparu comme un président imprévisib­le qui n’hésite pas à frapper. Cela fait peur aux Chinois, qui avaient jusqu’à maintenant l’impression de mener le jeu face à des puissances raisonnabl­es comme celle d’Obama et d’Abe au Japon. »

La Corée du Sud et le Japon menacés

La Corée du Nord peut-elle être la prochaine cible? «Toutes les options sont sur la table», a déclaré sans ambages le secrétaire d’État Rex Tillerson lors de son passage à Séoul en mars, précisant que la politique de la «patience stratégiqu­e», chère à Barack Obama, «avait pris fin». Un conflit militaire fait partie du scénario si Pyongyang «élève le niveau de menace de son programme d’armements», a prévenu Tillerson. En janvier, Kim Jong-un avait trompeté que son pays était « aux dernières étapes avant le lancement test d’un missile balistique interconti­nental», des ICBM susceptibl­es de frapper les États-Unis. Dans un tweet nocturne, Trump avait rétorqué : «Cela n’arrivera pas.» Sans épiloguer. À la différence

de la situation en Syrie, Washington ne se trouve pas dans le même niveau d’urgence avec la Corée du Nord : pour l’heure, pas d’événement déclencheu­r ou d’acte justifiant une interventi­on.

Une attaque préventive contre Pyongyang reste un scénario dangereux et compliqué. En visant des sites nucléaires, comme celui de Yongbyon, que les États-Unis de Bill Clinton avaient projeté de bombarder lors de la grave crise de 19931994, Washington prendrait le risque d’une catastroph­e atomique. Il pourrait également cibler les bases de lancement de missile de Sohae (nord-ouest), d’où sont testés les ICBM, et de Musudan-ri, appelée également Tonghae (est).

« Mais les pays de la région n’y sont pas favorables, note Valérie Niquet. Ils savent que le Nord a des capacités de riposte susceptibl­es de frapper les territoire­s sud-coréens et japonais densément peuplés. Avec des missiles dotés de têtes chimiques et même avec une artillerie en partie vétuste, il ferait des dégâts considérab­les.» La Corée du Nord aurait par ailleurs disséminé 200 missiles Rodong sur tout son territoire, qui pourraient être lancés à partir de véhicules mobiles, compliquan­t leur détection et leur intercepti­on.

Un conflit militaire fait partie du scénario si Pyongyang «élève le niveau de menace de son programme d’ar mements »

«Même idéologie»

Si la Corée du Sud et le Japon ont tout à craindre d’une frappe, quelle sera la réaction de la Chine? Pyongyang et Pékin sont des «régimes frères qui partagent la même idéologie», rappelle Valérie Niquet. Chinois et Nord-Coréens sont liés par un traité d’amitié et de coopératio­n signé en 1961, qui prévoit des accords de défense réciproque. «La Chine est très agacée par les essais de la Corée du Nord, mais pas au point de prendre le risque de perdre [cet allié], alors que les Américains occupent toute la péninsule », souligne la spécialist­e. Pékin estime que les États-Unis jouent un rôle dans l’escalade des tensions, surtout en déployant en Corée du Sud le bouclier antimissil­e Thaad, perçu comme une menace par Pékin.

Seul réel soutien diplomatiq­ue et économique de la Corée du Nord, la Chine a les moyens de faire pression sur Kim Jongun, veut croire Trump, qui s’en est ouvert à Xi Jinping, reçu jeudi et vendredi en Floride. À la mi-mars, il se lamentait, déplorant que la Chine ait « peu fait pour aider» à la résolution du casse-tête nord-coréen. La semaine dernière, Trump déclarait au Financial Times: «Si la Chine ne résout pas la question nord-coréenne, nous le ferons.» Quelques jours avant de frapper la Syrie à la surprise générale.

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JO JUNG-HO ASSOCIATED PRESS Le porte-avions américain USS Carl Vinson accoste au port de Busan, en Corée du Sud, le 15 mars, pour les manoeuvres conjointes «Foal Eagle».

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