Saveurs Boulangers cherchent relève et reconnaissance
Le programme du diplôme d’études professionnelles est en cours de révision
Au Québec, sur 120 jeunes qui sortent avec un diplôme d’études professionnelles (DEP) en boulangerie en poche, seulement 10% travaillent encore après la première année comme boulanger, tourier, etc. Pourquoi laissent-ils tomber? Un vaste chantier de réflexion qu’amorce l’Association des boulangers artisans du Québec.
Un lundi, fin de matinée. Anciens et nouveaux boulangers, propriétaires et gestionnaires de commerces, formateurs… se versent un café, jasent un peu avant de prendre place. Cette cinquième Rencontre des boulangers organisée par l’Association des boulangers artisans du Québec (ABAQC) se veut participative. Le thème ? L’avenir de la relève.
À côté d’un grand tableau, une pile de feuillets autoadhésifs colorés attend les futurs commentaires écrits de la trentaine de membres présents. «Inscrivez ce qui vous semble important comme critères d’appel ou d’abandon du métier», explique Marie Cornellier, qui assure la permanence de l’ABAQC. Quels facteurs favorisent ou entravent la fidélité au métier de boulanger? Quels facteurs influencent le maintien ou l’abandon d’un boulanger dans l’entreprise? Quels facteurs incitent à apprendre ou à abandonner le métier au cours de la formation? Des questions cruciales pour une profession qui souhaite attirer et assurer sa relève.
Des désavantages
Les principaux facteurs de pénibilité du métier sont connus. Les horaires de travail (de nuit, décalés, par quarts) qui compliquent la vie personnelle; l’endurance physique requise même si les équipements et les poches de farine allégées de moitié ont soulagé certains maux (notamment de dos); le machisme persistant (alors qu’une relative parité garçon/fille se constate au sein de groupes d’étudiants inscrits au DEP); l’image de « jobine » que traîne le métier.
«Je demande toujours à mes élèves ce qui les amène au DEP boulangerie», raconte Marc Simonet, qui enseigne depuis neuf ans au Centre de formation professionnelle JacquesRousseau, à Longueuil. Là-bas, les cours se donnent le soir en raison du manque d’espace (les programmes de pâtisserie et de boulangerie partagent les mêmes locaux), et la durée totale des périodes de stage est plus longue, car l’école privilégie l’immersion et l’apprentissage sur le terrain. « Bin, Monsieur… Apprendre à faire du pain pendant huit mois, c’est court et c’est facile. Et puis, y avait p’us d’place en pâtisserie, alors j’ai pris boulangerie, car j’aime cuisiner!»
Le professeur ne désespère pas lorsqu’il entend ces nébuleuses explications, ces choix de formation qui se font par dépit. Car les histoires de réussite existent. Parfois, elles viennent même du côté de ceux et celles qu’on n’avait pas vus venir du fait de leur peu de motivation de départ! Pour preuve, toutes ces pimpantes
« Les jeunes d’aujourd’hui veulent avoir une vie personnelle. Cela se comprend. Donc, on travaille fort pour que ça change. L’alternance travail-études est également possible. Marc Simonet, enseignant au Centre de formation professionnelle Jacques-Rousseau
microboulangeries qui ouvrent à Montréal ou en région. De plus, certaines choses sont en train de bouger.
D’abord, on réfléchit à pouvoir esquiver les contraintes physiques et familiales. Comme adapter les horaires de travail à la production de pain qui, aujourd’hui, peut s’étaler dans le temps grâce aux méthodes de pousse contrôlée — la pâte se développe la nuit, avant la cuisson. Expliquer aussi aux futurs boulangers qu’il y a possibilité de gravir des échelons, qu’ils ne sont pas forcés de mettre la main dans le pétrin toute leur vie! Sortir de la production pour se tourner vers l’encadrement de personnel ou la gestion de gammes de produits. Aussi, certaines entreprises offrent des salaires de 15$, voire 20$ l’heure.
«Les jeunes d’aujourd’hui veulent avoir une vie personnelle. Cela se comprend. Donc, on travaille fort pour que ça change. L’alternance travailétudes [ATE] est également possible. Nous le proposons à JacquesRousseau », constate Marc Simonet, qui prend toujours autant de plaisir à faire la tournée de ses 19 stagiaires actuels. En fait, 18: ce matin-là, un élève ne s’est pas présenté à l’entreprise. Un abandon de plus. Pour ceux formés sur le tas, la reconnaissance des acquis et des compétences est possible, mais très peu en font la demande.
De son côté, l’ABAQC propose depuis 2014 un programme de compagnonnage en collaboration avec l’Association ouvrière des compagnons du devoir en France. Ce programme de perfectionnement en boulangerie permet à de jeunes boulangers québécois de voir du pays (et surtout, des entreprises différentes!) pendant trois ans.
Et puis, le programme du DEP est en cours de révision. Le boulanger-enseignant qui cumule 41 ans de métier y participe. « Je suis mandaté par le ministère de l’Éducation pour revoir le contenu. Au lieu de partir sur des listes de compétences (il y en a 16 actuellement), je propose de partir du produit (par exemple, pain blanc ou pain au levain) et de lui associer les apprentissages correspondants.» Comme évaluer la cuisson pour tel type de pain.
C’est aussi revoir des modules jugés insuffisants en nombre d’heures. Cette révision du référentiel du DEP en boulangerie, seule diplomation existante au Québec, touchera tous les établissements de la province qui offrent la formation (à Montréal, Lester B. Pearson offre le programme en anglais, la seule école à le faire). Elle devrait être effective pour 2019.
Manque d’infos
Lundi, lors de la rencontre des boulangers membres de l’ABAQC, il a été dit que les données sur le marché de la boulangerie au Québec sont partielles, voire inexistantes. Rien du côté d’Emploi Québec. Rien du côté de l’association. Une analyse du marché du pain serait donc la bienvenue pour tirer un portrait détaillé du secteur. Combien y a-t-il de boulangeries? Quelles communautés, hormis les Français, occupent le secteur? Pour quels types de commerces travaillent les jeunes diplômés? Quand ils «abandonnent», que font-ils par la suite ? Etc.
Mobiliser les ressources, collecter les données sur le terrain pour mieux appréhender l’avenir. Une réflexion-investigation nécessaire sur le métier de boulanger. Sans relève, pas d’avenir. Imaginezvous une table sans bon pain artisanal ?
Une analyse du marché du pain serait la bienvenue pour tirer un portrait détaillé du secteur. Combien y a-t-il de boulangeries? Quelles communautés, hormis les Français, occupent le secteur ?