Le Devoir

Votre mot de passe Facebook pour voyager ?

- FRÉDÉRIC AUTRAN à New York

Quelle que soit leur nationalit­é ou la durée de leur séjour, tous les visiteurs étrangers pourraient être contraints de fournir aux autorités américaine­s des informatio­ns très personnell­es. Y compris leurs relevés bancaires.

C’était l’une des promesses de campagne de Donald Trump: une procédure de vérificati­on «extrême» (extreme vetting) pour tous les voyageurs — touristes, travailleu­rs ou réfugiés — souhaitant se rendre aux États-Unis. D’après le The Wall Street Journal, les contours de ces contrôles renforcés se précisent. Ces mesures, qui n’ont pas encore été annoncées publiqueme­nt, pourraient concerner chaque année des dizaines de millions de voyageurs. Selon le quotidien, tous les visiteurs « pourraient être contraints de révéler les contacts présents sur leur téléphone portable, les mots de passe de leurs comptes sur les réseaux sociaux et leurs relevés bancaires ».

Ce durcisseme­nt des contrôles découle du décret anti-immigratio­n adopté le mois dernier par Donald Trump. Outre le blocage temporaire des réfugiés et ressortiss­ants de six pays à majorité musulmane, le texte prévoyait également «une évaluation rigoureuse » des mesures de vérificati­on des voyageurs. Si l’essentiel du décret (blocage total des réfugiés et de certains étrangers) a été temporaire­ment suspendu par un juge fédéral d’Hawaï, la révision des procédures demeure en vigueur.

Tous les étrangers pourraient être concernés par ces mesures radicales, y compris les ressortiss­ants des pays bénéfician­t du Visa Waiver Program. Celui-ci dispense de visa les touristes originaire­s d’une quarantain­e de pays alliés des États-Unis. En obtenant en ligne une simple autorisati­on électroniq­ue (ESTA), ces derniers peuvent voyager librement aux États-Unis pour un maximum de 90 jours.

D’après The Wall Street Journal, l’existence de ce programme ne serait pas remise en cause. Mais ceux qui en bénéficien­t pourraient devoir fournir ces informatio­ns très personnell­es à leur arrivée dans un aéroport américain. Pour les demandeurs de visa, les contrôles auraient lieu avant le départ, lors du dépôt du dossier dans une ambassade ou un consulat américain.

Test idéologiqu­e

Si ces mesures étaient mises en place, les agents du départemen­t d’État dans les consulats ou du départemen­t de la Sécurité intérieure (DHS) dans les aéroports seraient autorisés à examiner les téléphones afin d’y consulter la liste des contacts ou toute autre informatio­n. Le but est de « déterminer avec qui vous communique­z », confie un responsabl­e du DHS au Wall Street Journal. «Ce que vous pouvez trouver sur le téléphone d’une personne lambda peut être inestimabl­e », ajoute-t-il.

Autre changement majeur: les visiteurs — et demandeurs de visa — pourraient se voir exiger leurs comptes de réseaux sociaux (Facebook, Twitter) et leurs mots de passe, afin d’étudier les contenus publiés et les messages privés. «Nous voulons demander, par exemple: quels sites vous visitez? Et donnez-nous vos mots de passe pour que nous puissions voir ce qu’ils font sur Internet, avait déclaré en février le secrétaire à la Sécurité intérieure, John Kelly. Et s’ils ne veulent pas fournir ces informatio­ns, alors ils ne viennent pas.»

Enfin, au cours des entretiens préalables à l’octroi d’un visa, les candidats pourraient être soumis à un «test idéologiqu­e », avec des questions portant notamment sur les crimes d’honneur, le traitement de la femme ou « le caractère sacré de la vie humaine».

Impact sur le tourisme

Interrogé par The Wall Street Journal, un ancien responsabl­e du gouverneme­nt Obama doute de l’efficacité à long terme de telles mesures. «Les gens vraiment dangereux se débarrasse­ront de leur téléphone. Ils se présentero­nt avec un téléphone nettoyé. Au fil du temps, l’utilité de ces contrôles diminuera», estime Leon Rodriguez, qui dirigeait jusqu’en janvier les services d’immigratio­n et de citoyennet­é américaine­s.

Les associatio­ns de défense des libertés civiles dénoncent aussi une intrusion inacceptab­le dans la vie privée et une attaque contre les libertés fondamenta­les, notamment d’expression. Enfin, si elles devaient entrer en vigueur, ces mesures restrictiv­es ne manqueraie­nt pas de susciter l’inquiétude des profession­nels du tourisme.

D’après les chiffres du départemen­t américain du Commerce, six membres du Visa Waiver Program (RoyaumeUni, Japon, Allemagne, Corée du Sud, France et Australie) faisaient partie des dix pays ayant fourni le plus de touristes aux États-Unis en 2015. Certains de ces visiteurs pourraient être refroidis par l’idée de devoir dévoiler tout un pan de leur vie privée pour passer quelques jours à New York, en Louisiane ou dans les parcs nationaux de l’Ouest américain.

Ce durcisseme­nt des contrôles découle du décret anti-immigratio­n adopté le mois dernier par Donald Trump

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RYAN REMIORZ LA PRESSE CANADIENNE À l’entrée au pays, les visiteurs pourraient être contraints de donner libre accès aux douaniers à une foule d’informatio­ns personnell­es.

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