Le Devoir

Quand Bolduc s’acoquine avec Oscar Peterson

Ce Swingin’ avec Oscar distille en huit pièces du pur bonheur

- SERGE TRUFFAUT

Il y a 9762 mensualité­s de cela, Georges Brassens se confessa en ces termes: «Mourir pour des idées, l’idée est excellente. Moi, j’ai failli mourir d’en avoir jamais eu .» Tu parles qu’il en a eu des idées, pourtant! Et même des «jazzées». À preuve, ses Trompettes de la renommée et autres Mauvaise réputation ou cet enregistre­ment avec le saxophonis­te Eddie Lockjaw Davis et le trompettis­te de la renommée en personne, soit messire Harry Sweets Edison. Bon.

Tout ça pour quoi? Pour avancer ceci: une fois encore, le saxophonis­te, compositeu­r, arrangeur et professeur Rémi Bolduc a eu une grande idée. Après avoir décliné les chefsd’oeuvre de Dave Brubeck et de son alter ego Paul Desmond, après avoir disserté avec le saxophonis­te perfection­niste Jerry Bergonzi, après avoir échangé avec maître Kenny Werner au piano, voilà que Bolduc nous revient avec un disque unique. En quoi ? Il a consacré tout un album aux compositio­ns du «plus meilleur pianiste au monde », soit évidemment Oscar Peterson. Cela ne s’était jamais fait.

Plus exactement, Bolduc a enregistré sur Swingin’ avec Oscar huit pièces de Peterson, dont Place St-Henri et la Laurentide Waltz, augmentées de deux standards qu’ils avaient si bien détaillés en compagnie notamment de Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Zoot Sims et consorts, qui lui sont pour ainsi accolés. Il s’agit de I’ve Never Been in Love Before et The Touch of Your Lips.

Pour mener sa barque à bon port, Bolduc s’est associé à des champions de la catégorie mi-lourds: le pianiste Taurey Butler, qui est rien de moins que l’héritier d’Oliver Jones, lui-même héritier d’Oscar Peterson (puisque ces deux derniers eurent le même professeur : Daisy Peterson, la soeur aînée d’Oscar), le contrebass­iste Fraser Hollins, la saxophonis­te Chantal de Villiers — présente sur une pièce — et le batteur Dave Laing, qui est rien de moins qu’un gage de qualité. Le tout a été enregistré en une journée et une seule : le 14 décembre 2016.

Le résultat est à la hauteur du sujet, à hauteur d’homme. En clair, cet hommage à Peterson est éblouissan­t. Un, parce qu’il y a l’idée de déplier l’oeuvre trop méconnue de Peterson. Deux, parce que la facture et le jeu des musiciens se conjuguent avec entrain, enthousias­me, conviction. Ce Swingin’avec Oscar distille du bonheur.

En fait, ce disque publié par Les Production­s Art and Soul nous a rappelé les grands moments de l’étiquette Pablo lorsque Norman Granz, le producteur géant, réunissait dans les années 70 Peterson, Zoot Sims, Gillespie, Count Basie, Louis Bellson, Ray Brown, Eddie Lockjaw Davis, Ray Bryant et autres cadors pour mieux jammer. Swingin’ avec Oscar est exactement cela: un jam avec le bonheur.

Purée de mauvaise nouvelle: Horace Parlan, pianiste qu’on vénère depuis des lunes, est décédé le 23 février. On le savait handicapé depuis des années. Après avoir accompagné Charles Mingus, Dexter Gordon, Johnny Griffin, Jackie McLean, après avoir réalisé sous son nom des chefs-d’oeuvre parus sur étiquette Blue Note, il devait signer un monument de l’histoire du jazz avec pour seul compagnon le saxophonis­te Archie Shepp, soit tout d’abord Goin’ Home (1977) et Trouble in Mind (1980).

De ces enregistre­ments faits presque exclusivem­ent de gospels et vieux blues, il faut retenir qu’ils étaient autant de manifestes. Contre quoi ? La spoliation esthétique à laquelle se livraient les p’tits Blancs petits-bourgeois et leur prétentieu­x et insipide jazzrock ou fusion. Horace Parlan fut un grand monsieur.

Décidément, les astres se sont alignés sur la constellat­ion Cronos. Voilà que le pianiste Maurice Vander aussi est décédé en février. Il fut l’arrangeur chéri de Claude Nougaro pendant des décennies et compositeu­r de certaines de ses pièces. En fait, Vander fut le précurseur du «pianiste jazz français de France». Il a accompagné aussi bien Charles Aznavour que Chet Baker, Boris Vian que Stan Getz, Henri Salvador que Stéphane Grappelli, Yves Montand que Django Reinhardt, Dexter Gordon que Pierre Barouh. Nougaro : « Mon big band à moi, ce sont les dix doigts de Maurice Vander.» Il avait 87 ans.

Ce soir, au Café Résonance, le trompettis­te Kevin Dean va décliner les compositio­ns du grand saxophonis­te Joe Henderson avec ses amis. Ce café est situé au 5175 A, avenue du Parc.

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YVAN COUILLARD Rémi Bolduc signe un hommage enchanteur à son idole du jazz.

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