Le Devoir

Marion Wagschal, l’artiste en colosse

Le Musée d’art de Joliette jette un autre regard sur son oeuvre puissante

- MARIE-ÈVE CHARRON

COLOSSUS De Marion Wagschal, au Musée d’art de Joliette jusqu’au 30 avril.

Les oeuvres en préambule de l’exposition de Marion Wagschal au Musée d’art de Joliette (MAJ) donnent franchemen­t le ton à ce qui suivra. Un nu féminin s’offre frontaleme­nt au regard, tandis qu’un petit autoportra­it de profil et une sélection de carnets de dessins habillent discrèteme­nt les pourtours. Les salles suivantes sont de cette trempe, valorisant en particulie­r la production sur papier de cette artiste dont la pratique s’ancre dans la représenta­tion intime des corps, du sien comme ceux des personnes de son entourage.

Cette exposition fait suite à la rétrospect­ive coorganisé­e par l’Art Gallery of Nova Scotia (2014) et le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM, 2015), le premier solo muséal en carrière consacré à l’artiste. Le travail de Wagschal, quoiqu’estimé, a longtemps été laissé en marge des canons masculins dévolus à l’abstractio­n picturale ou des pratiques de la performanc­e, de la vidéo et de l’installati­on avec qui, pourtant, il partageait des enjeux semblables, par exemple féministes.

Au lieu de survoler 50 ans de pratique, le MAJ met l’accent sur la production de la dernière décennie, dont l’oeuvre la plus remarquabl­e est

Colossus (2016), qui donne son titre à l’exposition. Celle-ci fait également une plus large place aux dessins, part névralgiqu­e du corpus de l’artiste. La galerie Battat l’avait d’ailleurs brillammen­t révélée dans une exposition de 2012 avec un accrochage des oeuvres en constellat­ion, une approche également empruntée à Joliette par la commissair­e Marie-Claude Landry.

Proximité sensuelle

Quelques grands tableaux marquent le début de la salle dédiée aux dessins, des pièces entre autres vues au MBAM qui sont mieux servies ici, où elles respirent davantage dans l’espace. Ce sont des portraits et des scènes de genre qui privilégie­nt le registre de l’intimité avec des situations ambiguës empreintes de tensions parfois érotiques. Les fonds rabattus, la facture expressive et les motifs aux contours hésitants sont combinés à des couleurs ternies

travaillée­s en transparen­ce qui rendent les représenta­tions plus tactiles qu’optiques, suggérant une proximité sensuelle et des corps à corps.

Quelles soient fraternell­es, amicales ou amoureuses, les relations humaines chez Wagschal sont bien incarnées et omniprésen­tes. Avec des figures archétypal­es puisées dans la commedia dell’arte, l’artiste touche aussi parfois à de sombres réalités sociales, tel que dans The Melancholy of Carnivores (2014) qui dépeint la cupidité de l’humain, profanant la nature. Le portrait placé tout juste à côté serait quant à lui inspiré du président Trump. Cadré serré de profil, le personnage en bouffon devise avec la mort.

La mort, à travers le motif du crâne, revient d’ailleurs dans Colossus. L’imposant autoportra­it de l’artiste, posant nue et vue en raccourci, affirme sans détour la chair et les signes de vieillisse­ment, un geste hardi célébrant la vie autant que son histoire personnell­e. Elle qui est née en 1943 à Port-d’Espagne (Trinité-et-Tobago) de parents juifs ayant fui l’Allemagne nazie intègre dans sa peinture maintes références à l’histoire de l’art. Des figures rendues familières par leur récurrence dans le temps et des oeuvres singulière­s, dont la Lamentatio­n sur le Christ mort (1480) de Mantegna, viennent en effet à l’esprit en regardant ses tableaux.

Temporalit­és imbriquées

Truffées d’archétypes et composées d’espaces fabulés, les toiles se font l’imbricatio­n de différente­s temporalit­és défiant la linéarité chronologi­que, tant de l’histoire de l’art que de la vie de l’artiste. Le parcours de l’exposition conforte cette impression. Après l’alignement sans ordre apparent des tableaux, la progressio­n dans la salle des dessins devient organique, et les oeuvres profuses.

À l’encre, à l’aquarelle ou au fusain, ces esquisses et ces oeuvres à part entière donnent à voir un éventail élargi de sujets, et des morceaux parfois à la limite de l’abstractio­n. Le frémisseme­nt qui anime le trait et parcourt les nuées colorées trahit une certaine indocilité, des figures à être idéalisées et des sentiments à se dire clairement. Une même sensibilit­é caractéris­e un ensemble de sculptures en argile placé au sein de la salle. Notable, l’oeuvre de 1998 est ainsi montrée en primeur.

Les figures humaines de ces sculptures s’hybrident parfois à des formes animales, quoique leur façonnemen­t grossier ne permette pas toujours d’en être sûr. Par leur matérialit­é trompeuse inspirée de l’archéologi­e, les miniatures résument la confusion des âges observée dans les autres oeuvres et s’offrent en contrepoid­s à la représenta­tion récente de l’artiste en colosse. L’expo aura montré que des oeuvres d’hier de Wagschal restaient encore à découvrir, et que la production actuelle de celle-ci est toujours pertinente, et donc à suivre dans ses développem­ents.

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SOURCE MUSÉE DE JOLIETTE Le musée met l’accent sur la production de la dernière décennie de Marion Wagschal.

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