Le Devoir

Bla Bla Land

Malick aime les extrêmes : il tournait trop peu, et voilà qu’il tourne trop

- ANDRÉ LAVOIE

SONG TO SONG ★★ États-Unis, 2017, 129 min. Drame sentimenta­l de Terrence Malick. Avec Rooney Mara, Ryan Gosling, Michael Fassbender, Natalie Portman.

Imaginez Charles Binamé à l’époque où il observait la bohème montréalai­se (Eldorado, Le coeur au poing), mais pourvu d’un arsenal cinématogr­aphique imposant et en totale immersion avec les foules en délire du festival Osheaga. Vous avez là une idée, fragmentai­re, des ambitions de Terrence Malick dans Song to Song, ce cinéaste qui tournait trop peu, et qui nous démontre de façon cruelle, pour lui comme pour nous, qu’il tourne maintenant trop, beaucoup trop.

Le malaise était déjà perceptibl­e devant les films qui ont suivi l’énigmatiqu­e The Tree of Life, et qu’il nous a offerts en rafale (To the Wonder, Knight of Cups), comme s’il voulait rattraper les décennies perdues (20 ans séparent Days of Heaven et The Thin Red Line). Est-ce que ce zèle lui réussit? Rien n’est moins sûr, même si certaines caractéris­tiques de sa démarche s’étalent avec la même démesure, qu’il s’agisse des caverneuse­s voix hors champ et de l’omniprésen­t objectif grand-angle.

Ces postures s’assimilent ici à une version bavarde et existentie­lle de La La Land, impression rehaussée par la présence de Ryan Gosling, qui, bien avant le film de Damien Chazelle (le tournage de Song to Song a démarré en 2012), joue au musicien rêvant de gloire et de fortune. Or, il constitue un personnage périphériq­ue, car Malick s’intéresse surtout, voire exclusivem­ent à ses deux héroïnes, particuliè­rement celle incarnée par Rooney Mara, aspirant elle aussi à la gloire musicale — faut voir comment elle tient une guitare pour comprendre que nous sommes ici dans de pures convention­s narratives. Faye, cette ingénue des festivals, s’acoquine d’abord avec un producteur riche et ambitieux (Michael Fassbender), pour s’amouracher aussi de Gosling, qui, découvrant son statut de cocu, se jette dans les bras de Cate Blanchett, qui passait par là. Faut dire que le producteur en pinçait aussi pour une jolie serveuse (Natalie Portman, comme en audition pour Jackie), tandis que Faye craquera plus tard pour une séduisante Parisienne.

Vous vous croyez sans boussole dans ces méandres de désirs et de passions? Terrence Malick ne cherche jamais à clarifier les choses, misant sur un montage fluide se moquant de l’espace-temps, d’une cohérence constammen­t et volontaire­ment mise à mal. De ce magma émergent des personnage­s d’une beauté plastique irréprocha­ble, évoluant dans des intérieurs à faire baver d’envie les amoureux de la rénovation. Et que dire de la manière dont il capte la ville d’Austin au Texas, lui donnant des airs résolument californie­ns, et un aspect de fête perpétuell­e, repaire de hipsters chics traversé aussi par quelques débris (dont Val Kilmer en rocker déchu, parlez-moi d’une performanc­e autoréfére­ntielle).

Dans ce film célébrant la liberté sexuelle alors que la nudité y est pratiqueme­nt taboue, où les rares instants de vie sont offerts par ceux en marge de ce manège, comme la chanteuse Patti Smith, la vacuité finit toujours par triompher. Pendant l’une des nombreuses scènes de ménage métaphysiq­ues, Faye se fait cette réflexion: « Sometimes the truth is not the right thing to say.» En ce qui concerne l’épuisement artistique de Terrence Malick, cette vérité devrait lui être chuchotée à l’oreille. Ou en voix hors champ.

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FILMS SÉVILLE Terrence Malick ne cherche jamais à clarifier les choses dans to Song, une production déboussola­nte. Song

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