Le Devoir

Entre vers, souvenirs et Stephen King

Dans un premier recueil de poésie, Catherine Côté honore la mémoire de sa famille

- JÉRÔME DELGADO

Arrivée un quart d’heure avant le rendez-vous, Catherine Côté attendait, la tête plongée dans du Stephen King. On avait été averti: la jeune poète, auteure d’un tout premier recueil, Outardes, fait un doctorat sur le maître de l’horreur.

«C’est connu à ce point que je travaille sur Stephen King?» réagit-elle, lorsqu’on lui fait remarquer qu’elle était facile à reconnaîtr­e.

Montréalai­se assumée, abitibienn­e dans le sang, Catherine Côté livre un premier recueil de poésie à cheval sur ses deux identités, sur deux réalités. Outardes, cependant, propose plus qu’une traversée territoria­le.

Il offre d’abord un va-et-vient entre des vers libres et une prose descriptiv­e, entre la finesse de l’écriture et la force de l’oralité. Puis il invite à un voyage dans le temps, dans l’espace intime de la mémoire, comme si l’auteure, dans la mivingtain­e, se battait contre les démons d’un passé inconnu.

«Je parle de deuil, mais avec un constat d’échec quand j’évoque Jean [son grand-père]. C’est difficile de faire le deuil de quelqu’un qu’on n’a pas connu», dit celle qui a vu, dans l’outarde, «un guide» cyclique, similaire aux souvenirs qui, eux aussi, partent et reviennent.

Et Stephen King, là-dedans? Rien, excepté l’imaginaire de la forêt, dit l’étudiante en sémiologie. «Chez Stephen King, ça se passe dans le Maine, dans des petites communauté­s. Je dirais que je trouve ça en Abitibi, mais à part ça, il n’y a pas de liens», affirme l’experte de l’auteur de Carrie et de Shinning.

La musicalité

La doctorante de l’UQAM n’est peut-être pas une poète si atypique. Après tout, on vit à l’ère des mélanges et des glissement­s (créatifs) de terrain. Chez elle, ça s’exprime par un engagement dans un genre littéraire très narratif (comme chercheuse) et dans un autre plus imagé. Outardes, rédigé pour un mémoire de maîtrise, se nourrit de ce mariage de poésie et de prose.

«Les segments en prose, ce sont des choses que j’avais à raconter et que je n’étais pas capable de raconter autrement», confie-t-elle.

« Mais c’est la poésie qui me vient le plus naturellem­ent, poursuit-elle. C’est une épuration minimalist­e qui parle beaucoup. J’aime la musicalité, le rythme de la poésie. Jack Kerouac disait qu’il écrivait comme on joue du jazz. C’est ce que j’essaie de faire. »

«si on me le demandait/mais personne ne me le demande/je ferai semblant de faire autre chose/que polir des vieux os/avec mes histoires […] les morts sont morts/je dépoussièr­e tout croche/je suis trop vivante pour comprendre» (extrait de Cala).

Musicale, Catherine Côté n’est pas pour autant musicienne, n’est pas une autre Klô Pelgag, l’auteure-compositri­ce-interprète de l’heure. Côté n’est qu’écrivaine et ne se voit pas ailleurs que dans la littératur­e. C’est ce qu’elle croit depuis ses douze ans, alors qu’elle s’est mise à écrire et à lire… Stephen King.

Le célèbre auteur de Portland (Maine) a transformé son imaginaire. Elle n’est pas une fana du genre polar d’horreur, juste du roi King. C’est lui qui lui a transmis l’envie de raconter des histoires, c’est « son côté stor ytelling » qu’elle admire. «Il a une perception différente, un peu plus transcenda­nte, plus ouverte sur ce qu’on ne voit pas, mais qui est quand même là. »

Mémoire vivante

Celle qui écrit «j’ai mal au cou/à force de regarder le ciel trop bleu» a peut-être un peu de Klô Pelgag — l’âge, les yeux bruns et une évidente joie de vivre à tout le moins. Avec Richard Desjardins, le poète de Rouyn, elle partage le désir de raconter l’histoire d’une région, ses gens, sa grandeur, sa rigueur.

«je ne sais pas s’ils ont pleuré quand ils ont vu / qu’il n’y avait rien là-bas / sauf le bois debout et le froid/qui mord les nerfs» (extrait de Rouyn).

Catherine Côté n’a jamais vécu en Abitibi, ne connaît le territoire que par les étés passés là, enfant, en famille. Elle ne rêve pas d’y vivre, trop urbaine et dépendante des commerces de quartier. Plus proche d’un Miron que d’un Desjardins, ses rapports sont certes identitair­es et mémoriels, mais d’une mémoire basée essentiell­ement sur la tradition orale.

«Je parle d’héritage. De ce qu’on reçoit matérielle­ment, spirituell­ement, dit celle qui a été bercée par les histoires que lui racontaien­t ses grands-parents. Je veux rendre justice à ces gens qui ont vécu la misère la plus affreuse. J’ai une responsabi­lité envers la mémoire, mais je n’ai aucune solution pour l’avenir. Tout ce que je peux faire, c’est parler de ces gens qui sont forts et merveilleu­x. »

Catherine Côté s’inscrit dans une mouvance littéraire portée, de manière très poétique, par un retour aux sources, par une meilleure reconnaiss­ance de la nordicité. Comme Juliana LéveilléTr­udel et son récent Nirliit (éditions La Peuplade), par exemple, elle ne renonce pas à son monde actuel, mais appelle à jeter des ponts, plutôt que des barrières, avec le savoir ancestral.

 ?? ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR ?? «C’est la poésie qui me vient le plus naturellem­ent. C’est une épuration minimalist­e qui parle beaucoup. J’aime la musicalité, le rythme de la poésie», souligne la poète Catherine Côté.
ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR «C’est la poésie qui me vient le plus naturellem­ent. C’est une épuration minimalist­e qui parle beaucoup. J’aime la musicalité, le rythme de la poésie», souligne la poète Catherine Côté.

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