Le Devoir

Mort d’homme et capharnaüm facétieux

Il est difficile de s’empêcher de sourire à la lecture de Hors saison

- CHRISTIAN DESMEULES

Après la mort suspecte d’un employé d’entretien de nuit dans une boutique de décoration­s de Noël du VieuxQuébe­c, «un entonnoir à touristes muni d’un puissant terminal bancaire», un branlebas de combat un peu burlesque s’enclenche.

«Soldat de l’inconnu à l’horaire biscornu» dont plusieurs se moquaient ouvertemen­t, l’homme a-t-il vraiment été assassiné? Et pour quel motif? C’est en gros toute la trame de Hors saison, le troisième roman de Max Férandon, déjà connu pour les univers légèrement fantaisist­es, à la limite du bédéesque, rencontrés dans Monsieur Ho et Un lundi sans bruit (Alto, 2008 et 2014).

Mais s’il est vrai qu’il y a mort d’homme, difficile de s’empêcher de sourire, tant le ton est à la facétie. L’éventail des personnage­s impliqués dans l’affaire y pousse également : une décoratric­e à temps partiel, deux soeurs jumelles chargées de la caisse, un bellâtre aux affaires louches responsabl­e des entrepôts et quelques vieilles dames solitaires.

Quant au propriétai­re de la boutique, un ardent partisan du PLQ qui déteste «royalement» Noël, il semble plus occupé par la quête de l’omelette parfaite que l’élucidatio­n de la mort de son employé.

Marina Duhaime, la policière chargée de l’enquête qui débarque dans ce capharnaüm de la rue Sainte-Anne, est une « emmerdeuse prononcée ». Antoine Paradis, « moine de l’inutile», un chef consultant spécialisé dans la cuisine végétarien­ne auprès de compagnies aériennes, en tant qu’ami du défunt, sera impliqué malgré lui dans cette histoire. Ils vont ainsi former une sorte de «duo improbable », unis dans leur quête de la vérité.

Un richissime et redouté critique gastronomi­que, « métronome de la fourchette », se mettra aussi mystérieus­ement de la partie. «Y avait-il une corrélatio­n entre la musique de Noël qui tournait en permanence et les séquelles comporteme­ntales dont tout ce beau monde semblait souffrir ? » C’est ce qu’on va savoir — ou pas. Manière de polar atmosphéri­que, Hors saison nous entraîne ainsi à coups de phrases chargées vers l’incontourn­able résolution de l’affaire. Vont s’y croiser en cours de route fausses pistes, chemins de traverse et nouveaux indices à propos de l’existence du tombeau de Samuel de Champlain («graal identitair­e de toute une nation»).

Au fil d’une narration omniprésen­te — et à vrai dire un peu écrasante —, à coups de réflexions narquoises et de récriminat­ions subtiles, Max Férandon multiplie les commentair­es obliques et critiques sur le monde et sur la ville de Québec, touches de gris dans un univers sinon plutôt coloré.

Tout est dans la tonalité ici, au risque parfois de trop en mettre. « Le fleuve, d’humeur potache, donnait au reflet perdu d’un vieux projecteur du port l’apparence d’une naine blanche. » Ou bien : «Le lèchevitri­nes avait été remplacé par du rince-ennui. »

Bondissant et ciselé (même à outrance) sous son intrigue anémique, Hors saison est miné par un souci constant, presque frénétique, d’être spirituel, qui confine parfois ses phrases à l’inintellig­ible. Entre la gastronomi­e et la boule de Noël, le grand écart frôle aussi la déchirure. Amusant, mais aussi léger qu’une poignée de cheveux d’ange.

HORS SAISON ★★★

Max Férandon Alto Québec, 2017, 168 pages

 ?? RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR ?? Dans Hors saison, Max Férandon multiplie les commentair­es obliques et critiques sur le monde et sur la ville de Québec.
RENAUD PHILIPPE LE DEVOIR Dans Hors saison, Max Férandon multiplie les commentair­es obliques et critiques sur le monde et sur la ville de Québec.
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