Le Devoir

Liberté, égalité… tensions

Arthur Ténor explore avec finesse les embrouille­s qui habitent le concept de laïcité

- MARIE FRADETTE

En plein coeur d’un collège français, le débat s’enflamme entre des jeunes de 3e, chacun prêt à se battre bec et ongles pour défendre les droits de leur petit groupe respectif. D’un côté, il y a la jolie Kristina, jeune fille d’origine slave au « regard troublant, au tempéramen­t de fer, froid et calculateu­r» et créationni­ste d’allégeance. De l’autre, il y a Kader, ardent défenseur des droits et libertés, et, entre eux, Thibault, quinze ans, un parfait « j’menfoutist­e, zombifié par son Smartphone».

Kristina dirige avec ardeur le petit groupe des Mèches blanches et entend faire respecter ses idées. Pendant un cours de science de la vie et de la terre (SVT), elle interrompt le discours de la professeur­e, prétextant que cette dernière enseigne des faussetés. «Je suis désolée, Madame, mais vous ne pouvez pas affirmer que ces couches de terre ont plusieurs millions d’années. Non, parce qu’il existe d’autres sources scientifiq­ues, d’autres hypothèses qui accréditen­t le fait d’une terre jeune.» Se référant à l’étude du Dr Don Batten du ministère internatio­nal de la Création, l’adolescent­e s’oppose ainsi au programme officiel offert. Pourquoi le collège enseigne-t-il ces faits alors qu’une autre vérité, la sienne, existe ?

En réaction à cette avancée, Kader, meilleur ami du personnage principal, fonde aussi un groupe, celui des Tricolores, «les démocrates, les protecteur­s de la République» et entre alors en « résistance contre le fascisme obscuranti­ste des Mèches folles». Et c’est là que ce petit roman devient tout à fait savoureux. Car, au milieu de ce tumulte, ni Kristina — et ses propos — ni Kader et sa bande, qui croient faire la promotion de la démocratie, ne par viennent à respecter les croyances de l’autre. La question n’est pas de savoir qui a raison, mais bien de savoir comment vivre avec tous ces diktats sans que personne se sente lésé.

Tout le débat de la laïcité se trouve là. Personne ne peut s’empêcher, malgré cette séparation entre l’État et la religion, de défendre ses croyances. Alors que Thibault, lentement secoué par cet affronteme­nt, questionne Kristina, s’étonne de la voir remettre en question des découverte­s scientifiq­ues indiscutab­les, cette dernière prône — tout comme Kader en fin de compte — la liberté d’expression nécessaire et défendue par la démocratie.

Dans un style vif, une langue riche, mais ponctuée d’anglicisme­s très français, Ténor a l’art de parler d’actualité sans tomber dans des roulières. Il remet en question cette société qui s’entredéchi­re tout en se mettant à hauteur de ses jeunes témoins, voire ses victimes. En 2015, il signait Je suis Charlibert­é en réaction à l’attentat du Charlie Hebdo, et il maintient ici cette ligne alerte. Qui a tort? Qui a raison? Et comment en arriver à une entente? La réponse ne se sera pas donnée, mais le témoignage d’une mère invitée dans la classe résonnera longtemps. Mme Ramos raconte comment son fils totalement endoctriné s’est rendu en Syrie et s’est fait exploser au milieu d’un marché. Sans se plaindre, elle se demande pourquoi et comment son fils est devenu un tel monstre. Tout comme Youssef — ce jeune homme recherché dans le film de Raed Hammoud —, ce garçon se laisse prendre par des conviction­s qui restent selon Thibault bien plus qu’«un gaspillage de vie, mais d’humanité dans tous les sens du terme».

GUERRE DES IDÉES AU COLLÈGE ★★★★

Arthur Ténor Scrineo Paris, 2017, 128 pages

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OLIVIER MORIN ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

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