Le Devoir

En souvenir de Sofia

Dans Comme les nuages, Louise Gaudette nomme l’indicible douleur du deuil périnatal

- DOMINIC TARDIF

Si la littératur­e permet de nommer tout ce qui se dérobe sous le poids du langage du quotidien, elle est sans doute un salutaire outil permettant de trouver les mots pour dire dans toute sa complexité la souffrance à la fois confuse et aiguë du deuil périnatal. Encaisser la mort alors que c’est la vie qui devait éclore: peu d’expérience­s humaines encapsulen­t dans un laps de temps aussi douloureus­ement court tout ce que l’existence a de puissant et d’irrévocabl­ement cruel.

Élisabeth s’est longtemps plu à claironner qu’elle n’était pas de celles qui deviennent mères. Jusqu’à ce que, le temps faisant son oeuvre, elle se ravise. Après les fastidieus­es tentatives d’adoption en tant que mère célibatair­e, elle rencontre Saul dans une fête. Leur fille, Sofia, naîtra sans pouls. Mort-née, écrirait-on, si le mot ne semblait pas si chargé.

Le roman de Louise Gaudette qui raconte cette histoire multiplie les douces précaution­s afin, non pas de gommer la détresse, mais plutôt de nimber de lumière la courte vie des enfants qui n’auront connu que l’intérieur du corps de leur mère. Nimber de lumière, aussi, la longue vie qui doit malgré tout continuer pour leurs parents.

« On s’attend rarement à l’amour, comme on s’attend rarement à la mort. Quand ils surgissent, on est souvent pris au dépourvu. Pour l’amour, à moins d’avoir un coup de foudre, on peut parfois ne dire ni oui ni non et prendre le temps de réfléchir. Pour la mort, soit on la nie et on souffre, soit on l’accepte et on souffre quand même », écrit la romancière, dans un passage narré par Élisabeth, qui n’arrive pas à s’arracher à son sentiment de culpabilit­é. Et si le coeur de Sofia avait cessé de battre à cause d’elle? se répète-t-elle, en s’infligeant à elle-même son propre supplice de la goutte.

Bercer les angoisses

Cinq voix se donnent le relais dans Comme les nuages, premier roman de Louise Gaudette, qui signait en 1999 un recueil de nouvelles (Contre toute attente, Pleine Lune). Celles d’Élisabeth et de Saul. Celle de Théo, attachant octogénair­e esseulé, dont Élisabeth loue la maison à Cape Cod. Celle de Sandrine, l’amie autrefois délurée d’Élisabeth, partie voir en Inde si elle s’y trouve. Et celle de Clara, danseuse déchue qui n’arrive qu’à répandre le malheur dans le coeur des hommes. Cinq personnage­s se trouvant face à un deuil: celui de leur enfant, de leur femme ou d’une certaine idée qu’il se faisait d’eux-mêmes (sans doute un des deuils les plus difficiles à accomplir).

Avec un style simple et gracieux, prenant parfois des détours inutiles par l’actualité, Louise Gaudette façonne des personnage­s dont la complexité se révèle par petites touches, bien qu’elle ne sache pas toujours résister aux stéréotype­s de la fille-désinvolte­qui-souhaite-s’assagir et de l’homme-compréhens­if-maisqui-veut-passer-à-autre-chose. Sa pudeur face au drame propose néanmoins une forme d’apaisement. L’auteure sait bercer les angoisses de ses lecteurs, comme on berce les bébés pour les endormir.

Existe-t-il d’autres moyens de s’engager sur la route du deuil qu’en acceptant d’y être accompagné par ceux qui en connaissen­t déjà les détours? demande au final Louise Gaudette. Nous aimerions tous être épargnés par la mort de ceux qu’on aime, mais ceux qu’on aime partiront tous un jour: voilà un sentiment universel qui ne révoque pas complèteme­nt la douleur, mais qui la rend sans doute plus tolérable.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Louise Gaudette signe un premier roman entre détresse et lumière.
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