Le Devoir

La persistanc­e de la première fois

Entre fiction et réalité, Philippe Besson revient sur le secret d’un amour fondateur

- CAROLINE JARRY

«Arrête avec tes mensonges » est le récit émouvant d’un amour de jeunesse entre deux adolescent­s homosexuel­s, raconté trente ans plus tard. C’est d’autant plus émouvant qu’il s’agit du premier roman autobiogra­phique de Philippe Besson, prolifique auteur français de 18 romans et de plusieurs scénarios de films. D’entrée de jeu, il dit qu’il obéit à sa mère, qui lui reprochait toujours, lorsqu’il était enfant, d’inventer des histoires et de mentir: « Aujourd’hui, j’obéis enfin à ma mère: je dis la vérité. Pour la première fois. […] Autant prévenir d’emblée: pas de règlement de comptes, pas de violence, pas de névrose familiale. Mais un amour, quand même. Un amour immense et tenu secret. Qui a fini par me rattraper. »

C’est l’histoire d’un coup de foudre survenu à 17 ans, en 1984, dans une petite ville de province au nord de Bordeaux. Un amour entre Philippe Besson, bon élève et fils d’instituteu­r, et Thomas Andrieu (à qui le livre est dédié), adolescent ténébreux, fils d’agriculteu­rs, beau gosse et populaire auprès des filles. Le désir est impérieux et inévitable, mais vécu difficilem­ent, car Thomas vit dans la terreur d’être découvert et exige de son jeune amant le secret le plus complet: ils doivent même faire semblant de ne pas se connaître lorsqu’ils se croisent à l’école. Vivre une intimité aussi foudroyant­e et une séparation aussi absolue, dit Besson, équivaut à une véritable « schizophré­nie »… La vie les séparera après cette cruciale année scolaire, mais ils ne s’oublieront jamais. Plusieurs années plus tard, l’auteur rencontrer­a par hasard le fils de Thomas, et apprendra ce qui est advenu de lui. D’où ce livre, né sous le coup de l’émotion. On sent dans le roman combien cette histoire a compté pour Besson, et c’est ce qui fait la force du livre. Mais certains défauts nous retiennent au bord de l’adhésion totale. Il y a des longueurs et des détails superflus dans le récit, attribuabl­es sans doute à l’importance que ces détails continuent d’avoir pour l’auteur. Le style est épuré, parfois un peu affecté, avec des phrases brèves, hachées, qui rappellent Marguerite Duras (on aime ou on n’aime pas): «Thomas Andrieu dit que tout devra rester caché. Que personne ne devra savoir. Que c’est la condition. Que c’est à prendre ou à laisser. Il écrase la cigarette dans le cendrier. Relève enfin le visage. Je fixe les yeux armés d’une sombre déterminat­ion, presque injectés de colère. Je dis que c’est d’accord. » Par ailleurs, on s’interroge sur la nature exacte du livre: Besson affirme y révéler pour la première fois un moment fondateur de sa vie, et l’a redit dans des entrevues récentes, et pourtant le livre est qualifié de «roman». On soupçonne qu’il a peut-être pris certaines libertés avec les faits.

Reste qu’il se dégage de ce livre une force certaine, qui vient du souvenir de cet amour déterminan­t ainsi que de la difficulté d’être homosexuel dans une certaine France du début des années 1980, alors que débutait la crise du sida. Besson décrit cet amour et cette époque sans fard, mariant une langue franche et directe à la sensibilit­é qui le caractéris­e.

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PIERRE VERDY AGENCE FRANCE-PRESSE Philippe Besson affirme révéler dans ce nouveau livre pour la première fois un moment fondateur de sa vie, pourtant celui-ci est qualifié de «roman».
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