Le Devoir

Sauver les meubles

- LOUIS CORNELLIER

Avec Jean-Claude Germain, l’histoire du Québec n’est jamais ennuyante. Le truculent écrivain, en effet, ne se contente pas de vulgariser les épisodes marquants de notre passé; il les met en scène, les fait revivre avec une captivante verve, afin qu’ils parlent à notre présent. Pour illustrer, par exemple, l’intensité de l’affronteme­nt entre les Bleus conservate­urs et les Rouges libéraux au coeur du XIXe siècle québécois, il raconte un duel foireux et désopilant.

Dans le contexte de l’Acte d’Union de 1840, les conservate­urs, conciliant­s avec les Anglais, cherchent à discrédite­r Papineau, qui ne fait pas de quartier aux partisans de la bonne entente, en laissant entendre qu’il aurait abandonné ses compagnons d’armes patriotes. En 1848, le journal rouge L’Avenir réplique en dépeignant Georges-Étienne Cartier, l’ancien patriote devenu député conservate­ur, comme le vrai fuyard, lors de la bataille de Saint-Charles.

Offusqué, Cartier provoque le journalist­e rouge Joseph Doutre en duel. Au moment où les duellistes s’avancent l’un vers l’autre, «Cartier se barre les pieds dans une racine et lâche prématurém­ent son coup de pistolet dans le tapis de verdure », raconte Germain, s’amusant à illustrer par là l’art de la défaite des conservate­urs et l’inefficaci­té de leur esbroufe dans un Canada qui bafoue le Québec.

Dans le troisième tome de Nous étions le Nouveau Monde, Jean-Claude Germain raconte nos vieilles divisions nationales et nous invite à nouveau au ralliement

La quadrature du cercle

Ce troisième tome de la série Nous étions le Nouveau Monde couvre la période qui va des lendemains de la défaite des patriotes au déclin du court règne d’Honoré Mercier dans les dernières années du siècle. Germain ne fait pas mystère de ses conviction­s: il choisit les Rouges contre les Bleus, Papineau plus que La Fontaine, Buies contre Mgr Bourget, Mercier contre Cartier, ceux qui sont opposés à l’Acte d’Union et à la Confédérat­ion, ceux qui ne croient pas au fairplay anglais, ceux qui plaident pour la séparation de l’Église et de l’État, pour une école laïque et pour l’indépendan­ce, celle du Canada par rapport à l’Angleterre, d’abord, et celle du Québec par rapport au Canada, ensuite. Pour Germain, les indépendan­tistes républicai­ns ont raison contre les nationalis­tes conservate­urs.

Depuis l’Acte d’Union, qui visait à assimiler les Canadiens français à la société anglaise, les Québécois en sont réduits à tenter de sauver les meubles. Ceux qui deviendron­t les Rouges veulent se battre, politiquem­ent s’entend, et refusent les compromis. D’autres, qu’on appellera les Bleus, choisissen­t la voie du réformisme.

Louis-Hippolyte La Fontaine croit qu’il sera possible, en faisant alliance avec les réformiste­s du Haut-Canada, d’obtenir la démocratie et de préserver l’autonomie des siens. Sa lutte ne sera pas vaine: en 1848, le gouverneme­nt responsabl­e est reconnu et, en 1849, l’usage du français est rétabli au Parlement.

Germain conclut néanmoins à l’échec de La Fontaine en ce qui a trait à l’autonomie du Bas-Canada. Adhérer au Canada en cultivant l’espoir de préserver un Québec français et politiquem­ent libre relève de la quadrature du cercle, hier comme aujourd’hui, assène l’historien populaire.

Pour ce dernier, le conservate­ur GeorgesÉti­enne Cartier, champion des conflits d’intérêts qui a fini par se définir comme «un Anglais qui parle français» et qui a même retiré le s de son prénom pour bien marquer son allégeance nationale, ne négociera, avec la Confédérat­ion, que le nouveau cadre de la servitude québécoise.

L’exemple de Mercier

Germain, fidèle en cela à son maître Jacques Ferron, fait de la pendaison de Louis Riel, en 1885, un tournant de notre histoire, le moment où «le Québec s’éprouve collective­ment comme une nation». Le libéral Honoré Mercier propose alors de dépasser l’esprit de parti pour défendre l’autonomie véritable du Québec. Les plus intransige­ants des Bleus se permettron­t toutes les bassesses pour le salir et le terrasser.

À cette étape, Germain ne rigole plus. Sa lecture de l’histoire du XIXe siècle l’amène à une conclusion qui, à ses yeux, vaut encore aujourd’hui. «Honoré Mercier avait raison, écrit-il. […] Le futur n’aura son propre avenir qu’au prix d’un ralliement pour l’indépendan­ce nationale. » Il faut en comprendre qu’il y a des convergenc­es qui pressent, à l’heure où les libéraux d’aujourd’hui n’ont plus rien en commun avec leurs grands ancêtres rouges.

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