Le Devoir

De nouvelles pistes dans la lutte contre le cancer

- ÉMILIE CORRIVEAU Collaborat­ion spéciale

Chercheuse et professeur­e émérite, Kim Lavoie est l’une des plus éminentes spécialist­es canadienne­s de médecine comporteme­ntale. Depuis quelques semaines, elle est titulaire de la nouvelle Chaire de recherche UQAM en médecine comporteme­ntale. Son objectif: mieux comprendre la façon dont certains facteurs influent sur les maladies chroniques et développer des stratégies de prévention et d’interventi­on pour réduire la morbidité qui leur est associée. Entretien.

Extrêmemen­t répandues à l’échelle planétaire, les maladies chroniques sont des affections de longue durée qui évoluent avec le temps. Elles peuvent engendrer une perte de l’indépendan­ce, des années d’incapacité et, ultimement, la mort. D’après l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), elles sont responsabl­es du plus haut taux de mortalité dans le monde; les plus importante­s

d’entre elles, soit les maladies cardio-vasculaire­s, les cancers, les maladies respiratoi­res chroniques et le diabète, causent chaque année plus de 38 millions de morts. Au Canada seulement, on estime qu’elles sont à l’origine d’environ deux tiers de tous les décès.

«Même si ces maladies sont toutes différente­s, elles ont beaucoup de facteurs de risque comporteme­ntaux et psychologi­ques communs, indique d’entrée de jeu Mme Lavoie. Parmi

eux, il y a le tabagisme, la mauvaise alimentati­on, l’inactivité physique, la sédentarit­é, la surconsomm­ation d’alcool et le stress. Il y a aussi la non-observance thérapeuti­que qui est liée aux maladies chroniques; quand des patients ne prennent pas correcteme­nt leur traitement, le risque qu’ils aggravent leur condition augmente.»

D’après l’OMS, un nombre effarant de décès est chaque année directemen­t lié à l’un ou l’autre de ces facteurs. À titre d’exemple, elle estime que le tabagisme tue près de 6 millions de personnes annuelleme­nt. Elle impute également environ 3,2 millions de décès par an à une activité physique insuffisan­te, 3,3 millions à un usage nocif d’alcool et 2,8 millions au surpoids et à l’obésité.

«En gros, ce que ça veut dire, c’est que des millions de gens meurent chaque année ou voient leur qualité de vie largement diminuée en raison de leur mode de vie malsain», résume la chercheuse.

Pour les systèmes de soins de santé, les dépenses liées aux maladies chroniques, qui nécessiten­t souvent des traitement­s longs et coûteux, sont très élevées. Chaque année, elles sont à l’origine de milliards de dollars de pertes en revenus nationaux. À titre d’exemple, au Québec, d’après les plus récentes données disponible­s, le fardeau total des maladies chroniques s’élèverait à plus de 8,1 milliards de dollars.

«Tout cela est terrible, note Mme Lavoie. Mais ce qui est encouragea­nt, c’est qu’il est possible de réduire la prévalence des maladies chroniques en agissant sur les comporteme­nts qui leur sont liés. »

Apports de la médecine comporteme­ntale

À la jonction de la médecine et des sciences comporteme­ntales — plus spécifique­ment de la psychologi­e —, la médecine comporteme­ntale est une approche qui vise à comprendre et à modifier les attitudes et les comporteme­nts liés à la santé.

«Les experts de médecine comporteme­ntale sont des psychologu­es qui s’intéressen­t spécifique­ment à la santé. Ils utilisent des stratégies de changement de comporteme­nt qu’ils adaptent à des population­s spécifique­s», explique la chercheuse.

Pour faire face au fardeau que représente­nt les maladies chroniques, la réalisatio­n de recherches en médecine comporteme­ntale et l’utilisatio­n de stratégies d’interventi­on qui en découlent peuvent s’avérer d’un apport considérab­le, poursuit-elle.

«L’efficacité des interventi­ons visant à améliorer les comporteme­nts de santé est aujourd’hui reconnue internatio­nalement. Mais si on veut vraiment aider les patients et les communauté­s, il va falloir qu’on adopte un modèle de développem­ent des interventi­ons qui est plus performant. Plus on va approfondi­r nos connaissan­ces sur la façon dont les facteurs comporteme­ntaux et psychologi­ques influent sur le développem­ent et la progressio­n des maladies chroniques, plus on sera en mesure de développer des interventi­ons efficaces.»

Les activités de la Chaire

C’est dans cet esprit de perfection­nement des connaissan­ces et investie d’un désir de développer des stratégies d’interventi­on permettant de réduire la morbidité associée aux maladies chroniques que Mme Lavoie dirige les travaux de la Chaire de recherche UQAM en médecine comporteme­ntale.

Sa programmat­ion de recherche s’articule autour de trois axes principaux. D’une part, la mise au jour des facteurs comporteme­ntaux et psychologi­ques qui influent sur le développem­ent et la progressio­n des maladies chroniques ; ensuite, l’explicatio­n des mécanismes par lesquels ces mêmes facteurs influent sur les maladies chroniques et, finalement, la conception, l’analyse et la réalisatio­n d’interventi­ons comporteme­ntales visant à améliorer la condition des personnes souffrant de maladies chroniques.

«Une grande partie de mon programme de recherche vise les interventi­ons auprès des patients, mais je cible aussi les médecins. Comme ce sont eux qui sont en contact avec les patients, c’est très important que leurs interventi­ons soient adéquates», indique la titulaire de la Chaire.

Pour atteindre ces objectifs, le programme utilise trois plateforme­s méthodolog­iques, soit l’épidémiolo­gie comporteme­ntale, la psychophys­iologie et les essais cliniques comporteme­ntaux.

« Toutes les recherches se font à l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal, où est situé mon laboratoir­e; elles ne sont pas à l’UQAM parce qu’il n’y a pas de patients là-bas! Mais les deux établissem­ents ont accepté de s’affilier pour que je puisse mener mes travaux », précise Mme Lavoie.

Des retombées pour l’UQAM

Assurément, les activités de la Chaire permettron­t à l’UQAM de tisser de nouveaux liens d’appartenan­ce avec des hôpitaux, des centres de recherche en santé et la communauté médicale. Elles contribuer­ont également à faire reconnaîtr­e l’UQAM comme un véritable milieu de recherche biocomport­ementale.

« Je pense que ça aidera l’Université à se faire connaître davantage comme un lieu où l’on peut non seulement se former en recherche, mais aussi en interventi­on», précise Mme Lavoie.

«J’espère que la Chaire influencer­a aussi les chercheurs de mon domaine, notamment sur le plan de la méthodolog­ie entourant la conception et le développem­ent des interventi­ons poursuit-elle. Je pense que, si on fait bien les choses, on a de bonnes chances de parvenir à convaincre les décideurs d’investir dans la prévention des maladies chroniques et, du même coup, de contribuer à la réduction de leur prévalence. »

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MICHAËL MONNIER LE DEVOIR Les maladies chroniques ont beaucoup de facteurs de risque comporteme­ntaux et psychologi­ques communs. Parmi eux, il y a le tabagisme, la mauvaise alimentati­on, l’inactivité physique, la sédentarit­é, la surconsomm­ation d’alcool et le stress, selon Kim...
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Kim Lavoie

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