Le Devoir

Deux budgets contradict­oires pour la recherche

- NADIA KOROMYSLOV­A Collaborat­ion spéciale

Terminées, les années de compressio­ns pour les chercheurs? Cela dépend du palier gouverneme­ntal dont on parle. Alors que le dernier budget du gouverneme­nt du Québec promet de nouveaux fonds pour la recherche, celui du Canada déçoit par son manque de réinvestis­sement.

Frédéric Bouchard, président de l’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas), se dit «ravi et soulagé» par le dernier budget Leitão, car les dernières années ont été difficiles pour la communauté de la recherche. Compressio­ns et stagnation du financemen­t depuis dix ans affectaien­t nombre de programmes et laissaient les chercheurs incertains quant à l’avenir. «Il fallait une action forte pour retrouver l’équilibre», souligne-t-il.

C’est ce qu’accomplit le nouveau budget, qui injecte des sommes supplément­aires dans les Fonds de recherche du Québec — principaux organismes subvention­naires de la recherche universita­ire —, et ce, sur cinq ans. Cet engagement à long terme «va apporter une stabilité à la recherche au Québec qui manquait depuis quelques années». Ainsi, les Fonds de recherche du Québec, se voient accorder 20 millions cette année et 40 millions pour les années suivantes, pour un total de 180 millions sur 5 ans.

En matière d’innovation, un investisse­ment majeur de 100 millions sur 5 ans permettra la création d’une supergrapp­e en intelligen­ce artificiel­le (IA) à Montréal. Cette somme vient s’ajouter aux 40 millions déjà avancés par le fédéral. Un geste qui vise à confirmer le leadership de Montréal en recherche de pointe en IA. Rappelons que Google et Microsoft ont récemment choisi d’implanter à Montréal des laboratoir­es consacrés à l’intelligen­ce artificiel­le.

Alors que la nouvelle Stratégie québécoise de la recherche et de l’innovation (SQRI) devrait être dévoilée sous peu, Frédéric Bouchard considère que les orientatio­ns positives du budget laissent présager une stratégie ambitieuse et diversifié­e. La SQRI a été élaborée avec le concours du milieu de la recherche, dont l’Acfas. Le détail des investisse­ments n’est pas encore connu, mais deux volets importants que sont les regroupeme­nts de chercheurs et la relève, deux actions qui étaient jugées prioritair­es par l’Acfas, sont d’ores et déjà soutenus dans le budget.

Soutenir la relève scientifiq­ue

Pour Frédéric Bouchard, il était primordial d’encourager la diversité et la relève. Il voit positiveme­nt la bonificati­on des fonds consacrés aux regroupeme­nts de chercheurs, souvent composés d’étudiants au doctorat et au postdoctor­at, qui permettra d’encourager la multidisci­plinarité et la relève. Avec l’augmentati­on du budget des Fonds de recherche, les subvention­s pour les étudiants à la maîtrise et au doctorat devraient croître. « C’est eux, la fine pointe de la recherche, c’est eux qui font les nouvelles découverte­s, rappelle M. Bouchard. Avec le réinvestis­sement, on s’assure que les chercheurs de partout au Québec puissent effectuer la recherche pour laquelle ils ont été formés. »

Année maigre au fédéral

Du côté du fédéral, le budget de l’année dernière ainsi que les consultati­ons menées tout au long de l’année laissaient présager un budget favorable à la recherche. Or, le dernier budget Morneau déçoit. Les sommes allouées aux Conseils de recherche du Canada stagnent alors que la majorité des investisse­ments vont à des programmes spécifique­s. Or, la communauté universita­ire crie famine depuis plusieurs années. L’Associatio­n canadienne des professeur­es et professeur­s d’université estimait que 350 millions de plus seraient nécessaire­s aux conseils de recherche cette année pour mener à bien leur mission.

«Notre société investit beaucoup dans ses cerveaux, mais encore faut-il leur donner les moyens de réaliser leurs ambitions ! » se désole Frédéric Bouchard. Il déplore aussi le manque de prise en compte de la chute du dollar canadien et de l’inflation. Le manque de réinvestis­sement signifie une chute draconienn­e du pouvoir d’achat des laboratoir­es, car les équipement­s et outils scientifiq­ues s’achètent dans la devise américaine. L’inflation grignote quant à elle la valeur des bourses, dont les sommes sont globalemen­t restées les mêmes depuis dix ans. «L’absence de réinvestis­sement maintenant va avoir des conséquenc­es sur des laboratoir­es partout au pays, prévient Bouchard. Des étudiants ne seront pas embauchés, des laboratoir­es seront forcés de fermer.»

Le gouverneme­nt fédéral semble préférer encourager l’innovation pour des retombées immédiates. Le gros du réinvestis­sement prévu au budget va à l’innovation industriel­le. Le gouverneme­nt prévoit également la création d’un nouvel organisme, Innovation Canada. Encore une fois, la stratégie apparaît contradict­oire : «il n’y a pas d’innovation industriel­le sans recherche universita­ire », explique le président de l’Acfas. Il trouve également contradict­oire le choix de financer des programmes

spécifique­s de sensibilis­ation à la science au secondaire sans financer la recherche universita­ire : «On encourage nos jeunes à s’intéresser à la science, c’est un peu étrange que, quand ils arrivent à l’université, il n’y ait plus d’argent pour en faire.»

Extrêmemen­t préoccupan­t

La conjonctur­e économique dans laquelle se trouve le Canada n’est effectivem­ent pas favorable, admet Frédéric Bouchard. Mais cela rend à ses yeux d’autant plus crucial un réinvestis­sement dans la recherche. «Comparativ­ement aux pays de l’OCDE, cela fait dix ans que le Canada recule en recherche et développem­ent, alors qu’en Corée du Sud, en Israël, en Europe, on voit une progressio­n des fonds. Ce sont nos concurrent­s!» Il espère que, à la mise à jour budgétaire, les sommes allouées aux Conseils de recherche seront bonifiées, «sinon, on poursuit le déclin du Canada».

Au-delà d’une question de budget, l’enjeu est bien plus vaste, tient-il à rappeler. «Au moment où notre société essaye de transforme­r nos manières de faire pour moins dépendre des ressources naturelles, l’éducation et la recherche sont cruciales.» Énergies durables, médecine, persévéran­ce scolaire, voilà des enjeux très concrets auxquels la recherche scientifiq­ue est indispensa­ble. Des problèmes d’aujourd’hui et de demain qui appellent à investir dans l’avancée des savoirs.

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Frédéric Bouchard, président de l’Associatio­n francophon­e pour le savoir (Acfas), est ravi et soulagé par le dernier budget Leitão.
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Frédéric Bouchard
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