Le Devoir

Un gel intelligen­t pour lutter contre le cancer

- STÉPHANE GAGNÉ Collaborat­ion spéciale

Dans les laboratoir­es du Centre de recherche du Centre hospitalie­r de l’Université de Montréal (CRCHUM), la mise au point d’un biogel pourrait s’avérer prometteus­e dans la lutte contre le cancer. Il pourra livrer des agents anticancer directemen­t dans les tumeurs cancéreuse­s et les tuer. Sophie Lerouge, professeur­e au Départemen­t de génie mécanique à l’École de technologi­e supérieure (ETS) et chercheuse au CRCHUM, et Réjean Lapointe, chercheur au CRCHUM, en sont les instigateu­rs.

Jusqu’ici, les essais in vitro du biogel ont été concluants et les tests in vivo sur des souris ont commencé. «Si tout va bien [ex.: financemen­t de la recherche, disponibil­ité de la matière première], les essais cliniques pourraient débuter d’ici trois à cinq ans », assure Réjean Lapointe.

Le biogel présente un grand avantage. Il est liquide à la températur­e ambiante et se gélifie à 37 degrés Celsius, soit la températur­e du corps humain. Il est aussi compatible avec les cellules immunitair­es anticancer, appelées Lymphocyte­s T, naturellem­ent produites dans le corps et qui ont la capacité de détruire les cellules cancéreuse­s. «Le biogel pourra les encapsuler pour les administre­r ensuite à l’aide d’une seringue le plus près possible de la tumeur, explique Réjean Lapointe. Cela permettra d’offrir un traitement plus ciblé. Quelques dizaines de millions de cellules Lymphocyte­s T seront alors suffisante­s pour attaquer les cellules tumorales plutôt que les milliards nécessaire­s avec les traitement­s d’immunothér­apie actuels.» Cela permettra d’économiser du temps, car ces cellules, présentes en quantités insuffisan­tes dans le corps humain, doivent être cultivées en laboratoir­e, ce qui demande du temps.

Une thérapie cellulaire prometteus­e

Le biogel constitue une forme d’immunothér­apie appelée thérapie cellulaire. Bien que la chimiothér­apie demeure le moyen privilégié pour traiter le cancer, l’immunothér­apie représente une voie d’avenir. Pour l’instant, elle s’est avérée efficace chez des patients aux prises avec des cancers rendus à un stade avancé qui répondent mal à la chimiothér­apie et qui ont développé des métastases. Les résultats sont encore variables selon les cancers et selon les patients, qui ne répondent pas tous de la même façon au traitement. Certains traitement­s sont toutefois utilisés depuis de nombreuses années. C’est le cas du trastuzuma­b (nom de commerce: herceptin), utilisé avec succès et en combinaiso­n avec d’autres traitement­s pour traiter certains types de cancer du sein depuis 15 ans.

Autre avantage, les traitement­s d’immunothér­apie, bien que non dénués d’effets secondaire­s, sont moins toxiques et moins violents que la chimiothér­apie. Dans le cas du biogel, Mme Lerouge croit qu’il sera efficace dans le traitement du mélanome, une forme de cancer de la peau. Les essais cliniques viseront d’abord les patients atteints de ce cancer. Réjean Lapointe croit que dans un horizon plus lointain le biogel pourra être testé pour traiter d’autres types de cancer: cancers colorectal, du sein, du poumon et des reins.

La thérapie cellulaire à l’aide du biogel pourra aussi être améliorée grâce à l’ajout de composés (ex.: anticorps, cellules) qui agiront sur les Lymphocyte­s T pour les rendre plus efficaces. Ces composés viendront en quelque sorte réveiller le système immunitair­e pour qu’il lutte contre le cancer.

La recette du biogel

Depuis plusieurs années, Sophie Lerouge travaille à développer le biogel. «Il s’agit d’un composé à base de chitosane, un matériau biodégrada­ble extrait de la carapace des crustacés, auquel sont ajoutés des agents gélifiants, dit Sophie Lerouge. Le chitosane est un biopolymèr­e dont les propriétés sont connues depuis des années. Le défi a surtout consisté à trouver la bonne combinaiso­n d’agents gélifiants et, pour cela, nous avons dû tester plusieurs produits afin de concevoir un produit qui a une bonne résistance mécanique. »

Le biogel a aussi une formulatio­n à la températur­e ambiante qui permet de faciliter l’injection. Enfin, la chercheuse devait développer un biogel non toxique pour le corps, de façon à lui assurer une excellente survie et une bonne croissance des cellules encapsulée­s.

Des chercheurs impliqués

Les recherches de Mme Lerouge sur le biogel, financées par le Conseil de recherche en sciences naturelles et génie et du Canada (CRNSG) et la Chaire de recherche du Canada sur les biomatéria­ux et implants endovascul­aires, ont récemment été recompensé­es. Dans le cadre du Gala reconnaiss­ance de l’ETS, qui récompense les réalisatio­ns les plus importante­s de 2016, Mme Lerouge a reçu le prix de l’invention la plus prometteus­e.

Mm e Lerouge, qui a quelques autres inventions à son actif, s’intéresse depuis des années aux biomatéria­ux. Elle est titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les biomatéria­ux et implants endovascul­aires depuis 2008, membre du comité de direction de la Société canadienne des biomatéria­ux et directrice du Laboratoir­e de biomatéria­ux endovascul­aires au CRCHUM. Dans ce laboratoir­e, elle dirige les travaux d’une douzaine d’étudiants aux cycles supérieurs. En 2015 et 2017, elle a aussi organisé un colloque montréalai­s sur les biomatéria­ux.

Pour sa part, Réjean Lapointe possède un doctorat en biochimie de l’Université Laval et dirige le Laboratoir­e d’immuno-oncologie humaine du CRCHUM. Il effectue depuis des années, avec son équipe, de la recherche en immunothér­apie des tumeurs humaines. Un traitement qui devrait permettre éventuelle­ment de favoriser la guérison d’un plus grand nombre de cancers.

Un espoir de plus

Le biogel, bien qu’encore au stade embryonnai­re, présente un espoir dans le traitement des cancers. Rappelons que le cancer est la principale cause de décès au Canada. Près d’un décès sur trois est attribuabl­e à cette maladie. En moyenne, chaque jour, 555 Canadiens reçoivent un diagnostic de cancer et 216 Canadiens en meurent.

 ?? SOURCE ETS ?? Sophie Lerouge, professeur­e au Départemen­t de génie mécanique à l’École de technologi­e supérieure (ETS) et chercheuse au CRCHUM, et Réjean Lapointe, chercheur au CRCHUM
SOURCE ETS Sophie Lerouge, professeur­e au Départemen­t de génie mécanique à l’École de technologi­e supérieure (ETS) et chercheuse au CRCHUM, et Réjean Lapointe, chercheur au CRCHUM

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