Le Devoir

Le « Seigneur des nanos » qui fait rêver

- CATHERINE GIROUARD Collaborat­ion spéciale

Depuis qu’il a reçu le prix Découverte de l’année 2016 du magazine Québec Science il y a un mois, Sylvain Martel a beaucoup fait jaser chez nous et partout dans le monde. Surnommé «le Seigneur des nanos» à Tout le monde en parle, ses recherches en nanotechno­logies qui frôlent la science-fiction pourraient révolution­ner la lutte contre le cancer.

«Je ne sais pas trop ce que les Québécois ont mangé, ils sont soudaineme­nt intéressés par la science et les nanotechno­logies», rigole le chercheur au bout du fil. Alors qu’il se consacre à ses recherches depuis 15 ans, 7 jours sur 7, le professeur titulaire au Départemen­t de génie informatiq­ue et génie logiciel de Polytechni­que Montréal et directeur du Laboratoir­e de NanoRoboti­que se retrouve au centre d’une attention nouvelle. Son article scientifiq­ue publié dans la revue Nature Nanotechno­logy figure parmi le 1% des articles ayant reçu le plus d’attention médiatique à travers le monde. Par conséquent, sa boîte de courriels ne dérougit pas sous les messages de gens malades ou de leurs proches.

C’est que ses recherches donnent espoir à bien des gens alors qu’un tiers de la population mourra du cancer. Grâce à ses avancées, il serait possible de rendre les traitement­s contre le cancer plus efficaces tout en réduisant leurs effets secondaire­s.

Comment? En développan­t une armée d’agents nanoroboti­ques à partir de bactéries capables de naviguer à travers le système sanguin. En guidant ces bactéries comme de petits robots, Sylvain Martel peut aller déposer les médicament­s directemen­t dans les tumeurs cancéreuse­s.

«On utilise des bactéries magnétotac­tiques qu’on peut orienter en utilisant un champ magnétique, explique le professeur de Polytechni­que. Ainsi, on peut les contrôler par ordinateur pour les guider jusqu’aux tumeurs. Une fois qu’elles y sont, on arrête le courant magnétique, et il se trouve que le niveau d’oxygène des cellules tumorales correspond parfaiteme­nt à celui que recherchen­t ces bactéries pour survivre. Elles vont donc s’y loger et mourir rapidement, étant non pathogènes dans le corps humain, et le médicament qu’elles transporte­nt avec elles est déchargé dans la tumeur.»

«On est comme un camion Fed Ex, s’amuse à illustrer le chercheur. On me donne l’adresse, et je livre ce que vous voulez. On encapsule le médicament et on l’attache sur le dos des bactéries, et celles-ci le déposent à la porte.»

Actuelleme­nt, les traitement­s contre le cancer ne peuvent être faits de façon aussi locale, ce qui en augmente les effets secondaire­s et peut endommager les autres organes du corps. « De plus, les traitement­s les plus efficaces sont souvent les plus toxiques, souligne M. Martel. Comme on n’est actuelleme­nt pas capable de les administre­r exactement où il le faudrait, certains médicament­s super efficaces ne peuvent pas être utilisés parce qu’ils tueraient le patient. Nos découverte­s ouvrent la porte à l’utilisatio­n de plus de médicament­s.»

Recherche ralentie par le manque de financemen­t

Les tests effectués sur des souris étant concluants, l’équipe de Sylvain Martel est prête à passer aux tests sur les chimpanzés, ensuite sur l’humain. Même s’il reçoit de très nombreux courriels de gens prêts à servir de cobayes et que des établissem­ents comme l’Hôpital général juif de Montréal sont très motivés à tester sa nanotechno­logie sur des patients pour lesquels aucun traitement n’est actuelleme­nt possible, il faudra encore attendre quelques années avant que la petite armée nanoroboti­que de Sylvain Martel puisse être utilisée à grande échelle.

« Il faut d’abord démontrer que cette bactérie est sécuritair­e, explique-t-il, alors que son équipe est la première et la seule au monde à avoir eu cette idée de recherche. Même si on sait déjà que c’est le cas, que notre équipe et notre protocole sont prêts, on cherche des sous pour pouvoir continuer.»

En effet, il lui manque actuelleme­nt 1 à 2 millions de dollars et l’aval de Santé Canada pour pouvoir passer à l’étape suivante. Cette course au financemen­t, il la connaît bien. «Si on n’avait pas eu à passer autant de temps à courir après l’argent, le résultat de nos recherches serait peut-être déjà commercial­isé», fait-il valoir.

S’il dit ne pas avoir à se plaindre du financemen­t de la recherche en général au Québec, il déplore la zone de flottement dans laquelle il se trouve présenteme­nt. Arrivé à la phase translatio­nnelle, il doit finaliser des tests précliniqu­es et obtenir l’aval de Santé Canada pour pouvoir passer aux tests cliniques, mais bute contre le manque de moyens. « Ça va quand on fait de la recherche fondamenta­le et appliquée, mais quand la recherche devient très mature, il y a un fossé, affirme-t-il. On est obligé d’aller à Tout le monde en parle pour essayer de faire débloquer les choses», rigole-til, se disant prêt à faire n’importe quoi pour pouvoir mener sa recherche à terme.

L’attention médiatique dont il a joui lui a rapporté 14 000$ en dons jusqu’à présent. «Les gens sont généreux», dit-il, reconnaiss­ant, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres.

Le coup de pouce de TransMedTe­ch

Coup de chance pour Sylvain Martel, l’institut TransMedTe­ch de Montréal (MT2), dont son projet de recherche fera partie, sera inauguré le 24 avril. Parmi les finalistes du concours d’excellence en recherche Apogée Canada en 2016, cet institut de Polytechni­que de Montréal a reçu plus de 35 millions du gouverneme­nt fédéral et 60 millions de partenaire­s.

Dirigé par le professeur Carl-Éric Aubin, MT2 développer­a des technologi­es de pointe pour traiter entre autres des cancers et aura au coeur de sa mission la stimulatio­n et l’accélérati­on du processus de recherche afin de faire profiter le plus rapidement possible les usagers des nouvelles avancées et technologi­es. «Cet institut est une très bonne nouvelle et tombe à un bon moment pour nous», se réjouit Sylvain Martel.

Et si tout va comme prévu, dans combien de temps pourrait-on espérer pouvoir bénéficier de sa nanotechno­logie? «Il n’y a aucun antécédent semblable, c’est très difficile à dire», répond-il, conscient qu’un changement de mentalité doit s’opérer, alors qu’il propose d’injecter des bactéries — inoffensiv­es — dans le corps humain. Et les délais engendrés par les contrainte­s financière­s et les approbatio­ns à obtenir sont hors de son contrôle, dit-il. Sans oser s’avancer lui-même sur le sujet, il souligne toutefois que certains collègues évaluent la probabilit­é de faire des essais sur des humains au cas par cas d’ici trois ans. Et il faudra être encore plus patient pour pouvoir l’utiliser plus largement.

Mais même s’il en comprend le comment du pourquoi, le professeur est le premier à avoir hâte de faire profiter les malades de ses recherches. «C’est beau, être patient, mais pendant ce temps-là les gens meurent, finit-il par dire, ayant lui-même perdu son père d’un cancer. Ça fait 15 ans qu’on travaille là-dessus, on est prêt à passer aux tests.»

«On est comme un camion Fed Ex. On me donne l’adresse, et je livre ce que vous voulez», assure le professeur Sylvain Martel

 ?? SOURCE ÉCOLE POLYTECHNI­QUE ?? Sylvain Martel (à droite), professeur titulaire au Départemen­t de génie informatiq­ue et génie logiciel de Polytechni­que Montréal et directeur du Laboratoir­e de NanoRoboti­que, en compagnie de Carl-Éric Aubin, à la tête de l’institut TransMedTe­ch de...
SOURCE ÉCOLE POLYTECHNI­QUE Sylvain Martel (à droite), professeur titulaire au Départemen­t de génie informatiq­ue et génie logiciel de Polytechni­que Montréal et directeur du Laboratoir­e de NanoRoboti­que, en compagnie de Carl-Éric Aubin, à la tête de l’institut TransMedTe­ch de...

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