Le « Seigneur des nanos » qui fait rêver
Depuis qu’il a reçu le prix Découverte de l’année 2016 du magazine Québec Science il y a un mois, Sylvain Martel a beaucoup fait jaser chez nous et partout dans le monde. Surnommé «le Seigneur des nanos» à Tout le monde en parle, ses recherches en nanotechnologies qui frôlent la science-fiction pourraient révolutionner la lutte contre le cancer.
«Je ne sais pas trop ce que les Québécois ont mangé, ils sont soudainement intéressés par la science et les nanotechnologies», rigole le chercheur au bout du fil. Alors qu’il se consacre à ses recherches depuis 15 ans, 7 jours sur 7, le professeur titulaire au Département de génie informatique et génie logiciel de Polytechnique Montréal et directeur du Laboratoire de NanoRobotique se retrouve au centre d’une attention nouvelle. Son article scientifique publié dans la revue Nature Nanotechnology figure parmi le 1% des articles ayant reçu le plus d’attention médiatique à travers le monde. Par conséquent, sa boîte de courriels ne dérougit pas sous les messages de gens malades ou de leurs proches.
C’est que ses recherches donnent espoir à bien des gens alors qu’un tiers de la population mourra du cancer. Grâce à ses avancées, il serait possible de rendre les traitements contre le cancer plus efficaces tout en réduisant leurs effets secondaires.
Comment? En développant une armée d’agents nanorobotiques à partir de bactéries capables de naviguer à travers le système sanguin. En guidant ces bactéries comme de petits robots, Sylvain Martel peut aller déposer les médicaments directement dans les tumeurs cancéreuses.
«On utilise des bactéries magnétotactiques qu’on peut orienter en utilisant un champ magnétique, explique le professeur de Polytechnique. Ainsi, on peut les contrôler par ordinateur pour les guider jusqu’aux tumeurs. Une fois qu’elles y sont, on arrête le courant magnétique, et il se trouve que le niveau d’oxygène des cellules tumorales correspond parfaitement à celui que recherchent ces bactéries pour survivre. Elles vont donc s’y loger et mourir rapidement, étant non pathogènes dans le corps humain, et le médicament qu’elles transportent avec elles est déchargé dans la tumeur.»
«On est comme un camion Fed Ex, s’amuse à illustrer le chercheur. On me donne l’adresse, et je livre ce que vous voulez. On encapsule le médicament et on l’attache sur le dos des bactéries, et celles-ci le déposent à la porte.»
Actuellement, les traitements contre le cancer ne peuvent être faits de façon aussi locale, ce qui en augmente les effets secondaires et peut endommager les autres organes du corps. « De plus, les traitements les plus efficaces sont souvent les plus toxiques, souligne M. Martel. Comme on n’est actuellement pas capable de les administrer exactement où il le faudrait, certains médicaments super efficaces ne peuvent pas être utilisés parce qu’ils tueraient le patient. Nos découvertes ouvrent la porte à l’utilisation de plus de médicaments.»
Recherche ralentie par le manque de financement
Les tests effectués sur des souris étant concluants, l’équipe de Sylvain Martel est prête à passer aux tests sur les chimpanzés, ensuite sur l’humain. Même s’il reçoit de très nombreux courriels de gens prêts à servir de cobayes et que des établissements comme l’Hôpital général juif de Montréal sont très motivés à tester sa nanotechnologie sur des patients pour lesquels aucun traitement n’est actuellement possible, il faudra encore attendre quelques années avant que la petite armée nanorobotique de Sylvain Martel puisse être utilisée à grande échelle.
« Il faut d’abord démontrer que cette bactérie est sécuritaire, explique-t-il, alors que son équipe est la première et la seule au monde à avoir eu cette idée de recherche. Même si on sait déjà que c’est le cas, que notre équipe et notre protocole sont prêts, on cherche des sous pour pouvoir continuer.»
En effet, il lui manque actuellement 1 à 2 millions de dollars et l’aval de Santé Canada pour pouvoir passer à l’étape suivante. Cette course au financement, il la connaît bien. «Si on n’avait pas eu à passer autant de temps à courir après l’argent, le résultat de nos recherches serait peut-être déjà commercialisé», fait-il valoir.
S’il dit ne pas avoir à se plaindre du financement de la recherche en général au Québec, il déplore la zone de flottement dans laquelle il se trouve présentement. Arrivé à la phase translationnelle, il doit finaliser des tests précliniques et obtenir l’aval de Santé Canada pour pouvoir passer aux tests cliniques, mais bute contre le manque de moyens. « Ça va quand on fait de la recherche fondamentale et appliquée, mais quand la recherche devient très mature, il y a un fossé, affirme-t-il. On est obligé d’aller à Tout le monde en parle pour essayer de faire débloquer les choses», rigole-til, se disant prêt à faire n’importe quoi pour pouvoir mener sa recherche à terme.
L’attention médiatique dont il a joui lui a rapporté 14 000$ en dons jusqu’à présent. «Les gens sont généreux», dit-il, reconnaissant, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres.
Le coup de pouce de TransMedTech
Coup de chance pour Sylvain Martel, l’institut TransMedTech de Montréal (MT2), dont son projet de recherche fera partie, sera inauguré le 24 avril. Parmi les finalistes du concours d’excellence en recherche Apogée Canada en 2016, cet institut de Polytechnique de Montréal a reçu plus de 35 millions du gouvernement fédéral et 60 millions de partenaires.
Dirigé par le professeur Carl-Éric Aubin, MT2 développera des technologies de pointe pour traiter entre autres des cancers et aura au coeur de sa mission la stimulation et l’accélération du processus de recherche afin de faire profiter le plus rapidement possible les usagers des nouvelles avancées et technologies. «Cet institut est une très bonne nouvelle et tombe à un bon moment pour nous», se réjouit Sylvain Martel.
Et si tout va comme prévu, dans combien de temps pourrait-on espérer pouvoir bénéficier de sa nanotechnologie? «Il n’y a aucun antécédent semblable, c’est très difficile à dire», répond-il, conscient qu’un changement de mentalité doit s’opérer, alors qu’il propose d’injecter des bactéries — inoffensives — dans le corps humain. Et les délais engendrés par les contraintes financières et les approbations à obtenir sont hors de son contrôle, dit-il. Sans oser s’avancer lui-même sur le sujet, il souligne toutefois que certains collègues évaluent la probabilité de faire des essais sur des humains au cas par cas d’ici trois ans. Et il faudra être encore plus patient pour pouvoir l’utiliser plus largement.
Mais même s’il en comprend le comment du pourquoi, le professeur est le premier à avoir hâte de faire profiter les malades de ses recherches. «C’est beau, être patient, mais pendant ce temps-là les gens meurent, finit-il par dire, ayant lui-même perdu son père d’un cancer. Ça fait 15 ans qu’on travaille là-dessus, on est prêt à passer aux tests.»
«On est comme un camion Fed Ex. On me donne l’adresse, et je livre ce que vous voulez», assure le professeur Sylvain Martel