Le Devoir

Remettre les pendules à l’heure

- ÉTIENNE PLAMONDON EMOND Collaborat­ion spéciale

Remettre les pendules à l’heure dans les cellules cancéreuse­s permettrai­t de ralentir l’expansion d’une tumeur. Cette découverte du Laboratoir­e de chronobiol­ogie moléculair­e, rattaché à l’Université McGill et à l’Institut universita­ire en santé mentale Douglas, ouvre de nouvelles voies à explorer pour éviter qu’un cancer nous prenne de vitesse.

Perturber l’horloge interne du corps humain génère son lot de conséquenc­es négatives pour la santé. Selon des méta-analyses publiées dans la dernière décennie, les personnes avec des horaires de travail atypiques, comme celles effectuant leurs tâches la nuit ou à des moments différents selon le jour de la semaine, présentaie­nt plus de risques de développer un cancer colorectal ou un cancer du sein.

Mais puisqu’un cycle circadien déréglé menace de nuire, aider le corps humain ou certaines de ses parties à retrouver un rythme régulier aide-t-il à réduire ou à prévenir des problèmes de santé ?

Cette question oriente les travaux du Laboratoir­e de chronobiol­ogie moléculair­e, rattaché à l’Université McGill et l’Institut universita­ire en santé mentale Douglas, dont la dernière découverte tend à démontrer que, dans le cas d’une tumeur, la réponse s’avère affirmativ­e. Un article scientifiq­ue publié en février dernier dans BMC Biology, dont la première auteure est la post-doctorante Silke Kiessling, en vient à la conclusion que rétablir le rythme de l’horloge interne des cellules cancéreuse­s permet de réduire la croissance d’une tumeur.

Si une horloge centrale, située à la base de l’hypothalam­us dans notre cerveau, régule les activités du corps humain sur un cycle de 24 heures, chacune de nos cellules possède aussi sa propre horloge interne, qui dicte ses activités. Cette dernière détermine selon l’heure du jour, par exemple, le moment où la cellule, dans certains cas, emmagasine ou utilise le sucre. «Souvent, les cellules cancéreuse­s n’ont pas une bonne horloge», observe Nicolas Cermakian, directeur du laboratoir­e, qui a supervisé la recherche.

Lorsque le cycle circadien est déréglé ou donne l’impression de tomber en panne dans une tumeur, la division cellulaire s’effectue beaucoup plus rapidement. Lorsque l’on rétablit un rythme régulier dans l’horloge, cette division se produit plus lentement.

L’équipe du laboratoir­e en est arrivée à ce constat grâce à des traitement­s d’abord réalisés à l’aide de tests in vitro sur des cellules du cancer de la peau et du côlon, puis en agissant sur des tumeurs implantées sous la peau de souris.

Avec de la dexaméthas­one, une hormone de synthèse dont l’effet s’apparente à celui du cortisol, les chercheurs remettaien­t le rythme circadien au diapason d’un cycle de 24 heures. Les résultats étaient sans équivoque: au bout

de sept à huit jours, la tumeur était trois fois moins grande chez les souris qui avaient reçu un traitement à la dexaméthas­one.

«La découverte initiale a été faite assez rapidement, affirme M. Cermakian, mais on voulait s’assurer que c’était vraiment un effet de l’horloge, parce que certains traitement­s qu’on utilisait auraient pu agir sur autre chose dans les cellules. » L’équipe a donc répété l’expérience à plusieurs reprises en modifiant différente­s variables afin de bien isoler le rôle de cette horloge interne. «En enlevant un des engrenages essentiels dans ces cellules, on empêchait l’effet de l’activation de l’horloge qui était conféré par le traitement qu’on faisait», relate le professeur de l’Université McGill. Dans ce cas, le traitement à la dexaméthas­one n’avait plus d’influence sur la tumeur. «Ce que ça nous disait, c’est qu’il fallait qu’il y ait une horloge dans ces cellules pour que ça marche. C’est la preuve finale comme quoi c’est certain que c’est par l’entremise de l’horloge [que la croissance de la tumeur était ralentie]. Ça ne peut pas être une autre explicatio­n.»

Applicable chez l’humain?

M. Cermakian ne voit pas de répercussi­on possible à court terme dans le traitement contre le cancer chez les humains. La dexaméthas­one, par exemple, ne pourrait pas être administré­e efficaceme­nt sur une personne comme elle l’a été sur les souris: cette hormone de synthèse engendre des effets secondaire­s sur d’autres composante­s de l’organisme et une tumeur se révèle souvent plus difficile à atteindre à l’intérieur du corps humain.

En revanche, cette avancée lui apparaît majeure dans une perspectiv­e à plus long terme. « Personne n’avait encore démontré que l’horloge dans la tumeur est importante pour la croissance de la tumeur, insiste-t-il. On ne savait pas trop avec les autres expérience­s si c’était le fait de toucher au rythme dans le corps [dans son ensemble] ou de toucher à celui de la tumeur» qui avait une répercussi­on.

Il prévoit une mise à profit des connaissan­ces acquises à travers ces expérience­s lorsque d’autres produits, techniques ou traitement­s seront mis au point pour rétablir l’horloge interne des cellules. À ce moment, redonner au cycle circadien des cellules cancéreuse­s leur routine d’origine pourrait servir à ralentir la croissance d’une tumeur le temps de réaliser un autre traitement pour l’éradiquer. «Je ne dirais pas que cela serait un moyen de guérir le cancer: la tumeur continuait tout de même de croître chez les souris qui étaient traitées, souligne-t-il. Mais ralentir de façon significat­ive la croissance d’une tumeur […] souvent, c’est ce qui pourrait faire la différence pour que la chimiothér­apie fonctionne ou pour donner le temps d’aller, de manière chirurgica­le, enlever une tumeur.»

Pour l’instant, le chercheur de l’Institut universita­ire en santé mentale Douglas ne poursuit pas de recherche sur cette question précise. Néanmoins, il continue de chercher des solutions pour améliorer les traitement­s contre le cancer à l’aide du cycle circadien, cette fois-ci en se basant sur d’autres découverte­s de son laboratoir­e. En 2011, il a démontré que, chez les souris, la réponse immunitair­e à une vaccinatio­n s’avérait plus vigoureuse lorsqu’elle était réalisée la nuit. « On sait que le système immunitair­e varie selon l’heure du jour. Alors on peut se demander si cela pourrait être applicable au traitement contre le cancer.» Le but? Tenter de combiner une thérapie contre le cancer avec une immunothér­apie améliorée par la prise en considérat­ion de l’heure des traitement­s.

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NICOLAS CERMAKIAN Nicolas Cermakian, directeur du Laboratoir­e de chronobiol­ogie moléculair­e

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