Le Devoir

Chaude lutte dans le milieu de la santé

Les résultats préliminai­res du vote d’allégeance annoncent un recul de la CSN

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Les résultats préliminai­res de la plus grande période de vote d’allégeance syndicale de l’histoire du réseau de la santé semblent annoncer une victoire des plus jeunes syndicats spécialisé­s sur les grandes centrales historique­s et, surtout, sur la CSN.

Les tendances sont claires: l’Alliance du personnel profession­nel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) sort victorieus­e, tout comme la Fédération interprofe­ssionnelle de la santé (FIQ). L’APTS pourrait compter 60% de membres de plus à la fin de l’opération, étant allée rafler la mise chez une majorité de travailleu­rs de la catégorie 4, des profession­nels de la santé, comme des psychologu­es et des technicien­s en laboratoir­e, au détriment de la CSN.

De son côté, la FIQ a consolidé son quasimonop­ole chez les infirmière­s, infirmière­s auxiliaire­s et inhalothér­apeutes en allant arracher des syndiqués qui étaient toujours attachés à la CSN.

Ensemble, la FIQ et l’APTS pourraient devancer la CSN en ce qui a trait à l’effectif, alors que la grande centrale dominait depuis de nombreuses années dans le réseau de la santé. De quelque 125 000 membres dans le réseau, la CSN court le risque de perdre quelque 25 000 membres actuelleme­nt. Son importance resterait tout de même considérab­le — la grande centrale pourrait toujours compter sur environ 250 000 membres au Québec.

C’est ce qui ressort de la compilatio­n non officielle des résultats effectuée par le militant syndical Sébastien Robert, qu’il a partagée avec Le Devoir. Des conversati­ons avec des sources

dans les différents syndicats concernés confirment également ces grandes tendances. Ces résultats sont partiels, car le résultat du vote de quelque 30 000 travailleu­rs de la santé des CIUSSS du Nord et de l’Est de l’île de Montréal sont attendus au courant de la semaine. M. Robert, qui est lui-même conseiller syndical à l’APTS, a compilé ces résultats dans ses temps libres de manière bénévole grâce à ses nombreux contacts dans les différents syndicats. Ses mises à jour quasi quotidienn­es sur Facebook étaient d’ailleurs fort attendues des militants de toutes affiliatio­ns.

La CSN n’a pas souhaité commenter ces chiffres tant et aussi longtemps que l’ensemble des votes n’aura pas été dépouillé, le processus se terminant le 13 avril. « On veut prendre la mesure des résultats», a précisé le directeur des communicat­ions à la CSN, Louis-Serge Houle.

Des militants de la CSN, en coulisse, semblent s’accrocher à l’espoir d’enregistre­r des gains importants dans les deux ultimes dépouillem­ents de votes à Montréal.

Les temps changent

Régine Laurent, la présidente de la FIQ, croit que son «syndicalis­me de propositio­n» a séduit. La FIQ a notamment appuyé financière­ment et logistique­ment la clinique infirmière SABSA, à Québec. «Nous avons été précurseur­s dans ce type de syndicalis­me, et l’APTS nous a rejoints là-dedans », affirme Mme Laurent.

Son de cloche semblable à l’APTS, où la présidente, Carolle Dubé, constate que les syndiqués exigent désormais une certaine prudence de leurs représenta­nts en ce qui concerne les grands enjeux sociaux. «Par exemple, expliquet-elle, nous avons appuyé la grève étudiante en 2012, et nos membres n’en étaient pas satisfaits. Certains étaient d’accord, mais plusieurs se demandaien­t pourquoi on s’en mêlait. Pareilleme­nt, nos membres ne veulent pas qu’on se positionne politiquem­ent pour un parti ou pour un autre en temps d’élections. »

« Les gens veulent aussi qu’on se positionne sur des enjeux sociaux, mais surtout dans le domaine de la santé », constate-t-elle.

Laurence-Léa Fontaine, professeur­e à la faculté de droit de l’UQAM et observatri­ce du monde du travail, estime qu’une des raisons qui expliquent les avancées de la FIQ et de l’APTS est le désir des travailleu­rs de se regrouper par titres d’emploi, une « question d’identité ».

Le Conseil provincial des affaires sociales, associé au Syndicat canadien de la fonction publique et à la Fédération des travailleu­rs du Québec (FTQ), était donné «pour mort» avant le début des votes, dit son président, Pierre Soucy. Pourtant, les résultats préliminai­res montrent qu’il aura plutôt fait des gains de quelques milliers de membres. Encore une fois, on a misé sur le sentiment d’appartenan­ce des travailleu­rs. « On a fait le tour du Québec pour valoriser ceux qu’on appelle les périsoigna­nts, c’est-à-dire les préposés, les travailleu­rs des cuisines, de l’entretien, les agents administra­tifs », explique-t-il.

«Les jeunes veulent avoir des services pour leur argent », selon Alain Dubois. Agent de relations humaines dans le réseau, ce dernier a été représenta­nt syndical dans le passé. Il a observé avec intérêt la période de maraudage. Au-delà d’un certain rejet de l’establishm­ent, il n’hésite pas à affirmer que des questions très terre à terre, comme le taux de cotisation et la qualité des assurances offertes ont pu aussi jouer un rôle. Les syndicats n’ont pas hésité à jouer cette carte pour séduire.

Gains… patronaux?

Cette grande campagne fera un grand gagnant, glissent certains observateu­rs: le gouverneme­nt. «Les forces syndicales ont dû investir énormément de temps et d’argent pour se conformer aux nouvelles dispositio­ns législativ­es », constate Mme Fontaine. C’est la classique stratégie de «diviser pour mieux régner » , pense-t-elle. «En conséquenc­e, les syndicats se sont un peu détournés des véritables enjeux contempora­ins auxquels ils sont pourtant très attachés », poursuit-elle.

Tout comme le réseau en général, ces mégafusion­s changeront la vie syndicale, qui devra s’organiser avec des milliers de membres par accréditat­ion, sur des territoire­s couvrant parfois des centaines de kilomètres.

«Ce n’est certaineme­nt pas la meilleure chose qui soit arrivée au monde syndical, constate Carolle Dubé. Pendant qu’on est occupés, le gouverneme­nt peut continuer à faire ses coupures et à privatiser nos services. Oui, tout cela va rendre plus difficile notre vie syndicale, ça va être très compliqué, juste de faire une assemblée générale.»

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