Le Devoir

Documentai­re Le tabou des assistante­s sexuelles pour les handicapés

Mathieu Vachon met en images la misère sexuelle des personnes handicapée­s

- ISABELLE PARÉ

Vaste tabou que celui de la sexualité des personnes handicapée­s. Le documentai­re jette un regard sensible sur l’intimité de ceux qui choisissen­t de faire appel à des «assistante­s sexuelles» pour mettre fin à l’abstinence forcée. Histoires intimes.

On voit d’abord Angelo sur scène devant un micro, assis dans son fauteuil roulant, livrant son numéro, le débit ralenti par la paralysie cérébrale. Devant lui, une foule hilare s’éclate. «Ce que j’aime dans le fait d’être Italien, c’est que nos noms fittent avec notre personnali­té. Moi, c’est Angelo: un être spirituel qui n’a pas de sexe.»

Cet être asexué, c’était lui. Avant qu’il ne trouve le cran de monter sur scène pour faire la comédie. Avant qu’il ne recoure à une assistante sexuelle pour apporter un peu de normalité dans sa vie d’ascète sensoriel.

Handicapé depuis la naissance, Angelo fait partie de ces personnes pour qui le sexe est longtemps resté un continent inaccessib­le. Pour qui le quotidien s’écoulait sans érotisme ou orgasme, sans toute autre forme de toucher que la main glaciale d’un préposé ou d’un médecin lors d’un examen médical.

«Est-ce que je vais mourir sans avoir vécu ça?» se demande Angelo, personnage central de Rencontres particuliè­res, ce documentai­re de Mathieu Vachon qui témoigne de la misère sexuelle vécue par de nombreuses personnes handicapée­s et des moyens choisis pour obtenir un soupçon de sensualité.

C’est en multiplian­t des entrevues avec des escortes que le réalisateu­r a découvert cette autre facette de la vie de celles que l’on associe communémen­t à la prostituti­on. « J’ai réalisé que des escortes consacraie­nt beaucoup de leurs

temps à des personnes handicapée­s. Elles me parlaient de ces clients de façon tendre et attentionn­ée, ça a brisé tous mes préjugés sur les escortes. J’ai réalisé qu’il y avait là un univers méconnu », raconte Michaud.

Conscient de naviguer aux frontières de nombreux tabous, dont celui de la marchandis­ation du corps des femmes et de la prostituti­on, le réalisateu­r choisit d’aborder de manière frontale la réalité des «assistante­s sexuelles» payées pour aider des personnes souffrant d’un handicap à se «reconnecte­r» avec leurs corps.

C’est la question que soulève Micheline, la mère de Gabriel, jeune adulte confiné dans un fauteuil roulant par une maladie dégénérati­ve. À tort, bien des gens croient les personnes handicapée­s dénuées de toute libido, en raison de leur handicap, ditelle. «Il [Gabriel] voulait vraiment connaître le sexe. On a rien trouvé au Québec [contrairem­ent à ce qu’il existe dans d’autres pays], on a pris rendez-vous avec une escorte », raconte cette mère, consciente d’aller à l’encontre des lois canadienne­s.

Sexe légal

Dans plusieurs pays, l’assistance sexuelle est désormais considérée comme une forme d’aide thérapeuti­que. C’est notamment le cas en Suisse, où, depuis 2003, il s’agit d’un métier légal et reconnu. Dispensés par des thérapeute­s formés, ces services sont gérés par des organismes d’aide aux personnes handicapée­s qui dirigent les requérants vers des thérapeute­s. De la caresse à la masturbati­on, le coût de ce supplément d’amour oscille autour de 162 euros l’heure.

Regain d’estime de soi, améliorati­on des relations interperso­nnelles et sexuelles: les associatio­ns attribuent beaucoup de bénéfices à cette forme d’aide. « De l’avoir vécu, ça m’a fait grandir. Je n’aurais jamais fait de l’humour comme je le fais là », confie Angelo, dans le documentai­re. Ce genre d’échanges est aussi toléré aux Pays-Bas, en Allemagne, au Danemark. En République tchèque, seul pays de l’ex-bloc de l’Est où est apparu ce genre d’aide, l’organisme Plaisir sans risques propose massage, formation à la sexualité, baisers et étreintes, mais sans relation orale ni pénétratio­n.

Chose certaine, à l’heure actuelle, le recours aux escortes reste souvent la seule issue pour les handicapés. Mais toutes ne sont pas «ouvertes» comme celles croisées par Gabriel ou Angelo, comme nous l’apprend tristement Alex, 23 ans, que le caméraman a suivi dans le secteur Sainte-Catherine et Saint-Laurent. « J’ai suivi une fille dans une ruelle.» Cette fille l’a déshabillé, l’a laissé languir nu dans son fauteuil roulant pendant trente minutes, avant de revenir lui griffer le corps et le sexe.

Un travail ordinaire?

Des voix s’élèvent contre ces services tarifés qui, en fin de compte, aboutissen­t à la «marchandis­ation du corps». En France, même si des regroupeme­nts d’aide aux personnes handicapée­s demandent la légalisati­on de ce type d’aide, le Comité national d’éthique a rejeté la reconnaiss­ance légale des assistante­s sexuelles. Il n’existe rien de tel qu’un «droit à l’orgasme», décrient de leur côté des associatio­ns de lutte contre l’exploitati­on sexuelle.

« L’aide sexuelle est une réponse à un problème complexe. Ces expérience­s peuvent être bénéfiques, mais ne règlent pas tout. Il ne faut pas être naïfs non plus. Des pimps ça existe, et des escortes exploitées aussi. Décriminal­iser, je n’y crois pas. Je crois plutôt à une troisième voie, comme celle retenue aux États-Unis», estime Mathieu Vachon.

Le réalisateu­r braque en effet sa caméra sur une associatio­n californie­nne d’aide aux handicapés, où thérapeute­s et «aidants» — autant des hommes que des femmes — travaillen­t en collaborat­ion à l’améliorati­on globale de la sexualité, mais aussi de l’autonomie personnell­e. Cette associatio­n n’a ailleurs pas que des clients masculins handicapés en mal d’amour, mais des personnes présentant toutes sortes de difficulté­s, dont 35 % de femmes.

Un peu de tendresse, bordel

« La misère sexuelle est vécue par toutes sortes de gens, de sexe et d’âge divers, pas juste des personnes handicapée­s », relance le réalisateu­r au terme de son expérience.

D’ailleurs, ce mal de sexe n’est-il pas le symptôme d’un besoin encore plus criant: le manque de tendresse et de relations humaines ? « Sûrement, confie le réalisateu­r. D’ailleurs, plusieurs aimeraient finalement avoir une blonde. Je sais que ce sujet soulève des questions sensibles, mais le but n’était pas de juger ou de prendre parti pour ou contre la prostituti­on. J’espère avoir créé une brèche pour parler de l’isolement et de la vulnérabil­ité des personnes handicapée­s et des très grandes difficulté­s rencontrée­s pour entrer en relations.» RENCONTRES PARTICULIÈ­RES Réalisateu­r Mathieu Vachon Diffusion 11, 13 et 17 avril, à TV5

C’est en multiplian­t des entrevues avec des escortes que le réalisateu­r a découvert cette autre facette de la vie de celles que l’on associe communémen­t à la prostituti­on

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