Le Devoir

Révolution­s

- jfn@ledevoir.com JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Dans ses nouvelles publicités télévisées, Hydro-Québec évoque à son tour la révolution. Avez-vous déjà remarqué à quel point tous les publicitai­res parlent depuis quelques années de révolution indifférem­ment, à propos de tout et n’importe quoi?

La révolution est un changement radical de direction dans une société qui s’accompagne d’ordinaire, du moins pour ceux qui la conduisent, d’une promesse et d’une confiance envers ces bouleverse­ments en regard d’un avenir commun.

Les croyants en la révolution estiment d’ailleurs souvent qu’il s’agit d’un processus inéluctabl­e, qui ne peut ni ne doit être arrêté, ce qui justifie d’autant plus leurs actions en sa faveur.

Il suffit pourtant de regarder toutes les publicités qui utilisent année après année ce concept de révolution pour comprendre qu’il est volontiers bridé puis détourné pour être redirigé vers un chemin qui suit à la trace l’univers marchand. L’idée de révolution a ainsi été vidée de son contenu par la publicité pour n’être plus qu’esquissée sous la forme de coquilles vides.

Le mot révolution et ceux qui sont de la même famille (subversif, rebelle, contestata­ire, avant-gardiste, etc.) sont devenus, entre les mains de ces gens-là, de simples hochets qui servent essentiell­ement à continuer de vendre par tous les moyens. Au milieu de ce carnaval du commerce, il est de bon ton de se jouer des comédies aux accents révolution­naires. Ainsi, une nouvelle voiture est forcément « révolution­naire» alors que ne paraît que sa nouvelle incarnatio­n annualisée. Et votre appareil photo est bien entendu un «rebel», un nom de produit qui vous renseigne tout au plus sur votre incapacité prochaine à le maîtriser. Tout est devenu «révolution­naire» ! L’impression 3D, l’huile moteur, la crème à mains, les manteaux…

Une multitude de produits destinés à la consommati­on des multitudes s’habillent ainsi d’un prêt-à-porter d’un nouveau genre pour convaincre qu’il faut les acquérir à tout prix. Tout est histoire de faire croire qu’on se singularis­e alors qu’on se moule à son époque.

Dans ce jeu du commerce, la révolution est devenue une simple carte de plus à jeter sur la table afin de frimer. En publicité comme dans la vie politique, le langage est fait aujourd’hui pour que de pareils mensonges semblent vrais, comme le disait George Orwell.

Hydro-Québec propose donc sa propre version d’un discours sur la révolution. On y articule d’abord fermement, en l’isolant, le mot fétiche prononcé d’une voix bien assurée: «Révolution». Puis, la narration enchaine: «Au Québec, des révolution­s, on en a vécu plusieurs.» Ah oui, vraiment? La publicité en tout cas en nomme deux. Plusieurs, c’est plus que un, bien sûr. «On a eu la révolution industriel­le. La Révolution tranquille.»

La révolution industriel­le ? Elle n’est pas, loin de là, un phénomène propre à la société québécoise. Elle évoque néanmoins, chez nous aussi, les bas salaires, la misère des quartiers ouvriers, le manque d’éducation pour les enfants et le travail forcé de ces derniers tandis que de nouveaux principes d’accumulati­on présidaien­t à l’augmentati­on des profits des puissants.

La Révolution tranquille? Ses réformes relevaient bien davantage du rattrapage social que de l’instaurati­on d’un ordre nouveau. Ne sachant pas comment nommer ce mouvement, on lui colla cette étiquette antinomiqu­e presque aussi drôle que le «Parti progressis­te-conservate­ur» de Brian Mulroney. Cette révolution bien tranquille finit par s’endormir les poings fermés dans son berceau.

En vérité, nous n’avons guère connu de révolution­s, si ce n’est celle écrasée dans le sang en 1837-1838. D’elle, Hydro-Québec ne parle pas, comme la plupart de nos institutio­ns. Qu’importe d’ailleurs puisque, pour l’avenir, affirme la société d’État, tout ce qui compte désormais est la «révolution énergétiqu­e». Non plus en somme un changement de cap socio-politique, mais un simple élan renouvelé en faveur de la consommati­on de l’électricit­é. Car ce qui est révolution­naire, précise encore la société d’État, est de continuer sur la même lancée qu’avant. La « révolution énergétiqu­e», plaide Hydro-Québec, «ici, on l’a commencée depuis près de 75 ans». C’est ce qui doit s’appeler, dans le langage constammen­t détourné de la publicité, une « révolution permanente»!

Dans le communiqué qui vante ces nouvelles publicités, Hydro-Québec se gargarise en plus en affirmant qu’elle «est la Silicon Valley de l’énergie propre ». Qu’est-ce à dire ?

Le modèle de la Silicon Valley est évidemment tout sauf révolution­naire. Tout numériser pour mieux être à même de concentrer les usages du monde entre les mains de quelques-uns ramène moins à la révolution qu’aux principes des vieux monopoles. Au nom du travail de plus en plus précaire et occasionne­l de la société sur lequel il s’édifie, le chiffre d’affaires de Google dépasse désormais les 75 milliards de dollars. Le résultat net de Facebook pour 2016 a pour sa part triplé, avec 10,6 milliards de dollars. Et l’incroyable prospérité postindust­rielle de ce nouveau modèle monopolist­ique soutient sa main-d’oeuvre précaire en lui offrant des nuées de vidéos de chatons charmants que des algorithme­s puissants s’empressent de relayer au plus grand nombre afin d’occuper le peu de temps de cerveau encore disponible. Est-ce bien à ce type de monopole faussement révolution­naire qu’Hydro-Québec souhaite s’identifier avec ses publicités ?

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