Le Devoir

L’explosif retour de Yoav Talmi

- CHRISTOPHE HUSS

TABLEAUX D’UNE EXPOSITION Glinka: Rouslan et Ludmila (ouverture). Rachmanino­v: Concerto pour piano n° 3. Arash Teymourian; La Novelette. Moussorgsk­i: Tableaux d’une exposition (orch. Ravel). Mehdi Ghazi (piano), Orchestre de l’Université de Montréal, Yoav Talmi. Salle Claude-Champagne, samedi 8 avril 2017.

Et les cloches churent! Malgré le fortissimo à son comble à la fin de La grande porte de Kiev un bruit incongru était subreptice­ment venu perturber l’accord. En levant les yeux de ma partition, je constatai que deux des trois cloches tubulaires de droite avaient disparu et s’étaient détachées de leur accroche. Cette petite anecdote amusante en dit long sur l’engagement viscéral que Yoav Talmi a demandé aux jeunes musiciens de l’Orchestre de l’Université de Montréal, et obtenu d’eux. Certains auront donné leur 110%!

Le retour au Québec de Yoav Talmi aura été un plaisir et un succès. Honoré par le consul d’Israël à Montréal un peu plus tôt en semaine, l’ancien directeur musical de l’OSQ, qui s’est brièvement et chaleureus­ement exprimé en français avant le concert, a donné des classes de maître de direction à l’Université de Montréal. La soirée de samedi avait été préparée par Airat Ichmourato­v, qu’on créditera aussi du succès final. C’est peu dire qu’en quelques secondes de Rouslan et Ludmila, l’auditeur comprenait de quoi il allait en retourner.

Ce que Talmi a combattu, c’est l’idée de confort en musique. La beauté se conquiert, de haute lutte, par un engagement forcené pour une précision de tout instant. Belle leçon, tout à fait dans la lignée de l’éthique musicale de Jean-François Rivest, en année sabbatique, qui savourait la soirée au balcon.

La création de la Novelette du lauréat du grand prix de compositio­n de l’UdeM, Arash Teymourian, a bénéficié du même soin dans la netteté que l’ouverture de Glinka. À coup d’accents répétés, cette Novelette assassine pour de bon, s’il en était besoin, Tybalt, personnage du Roméo et Juliette de Prokofiev, même si le jeune compositeu­r se dit plutôt influencé par Lutoslawsk­i, Ligeti ou Stravinski.

Les tableaux d’une exposition puissants et éloquents de Yoav Talmi sont du grand art orchestral. Toutes les qualités en ont été décrites: netteté, précision, découpe, engagement. Il faut y ajouter la réactivité et une singularit­é interpréta­tive, Bydlo (le chariot polonais), abordé de manière bien plus allante que le «sempre moderato, pesante » de la partition.

Cela dit, on attendait comme un fleuron de la soirée la prestation de Mehdi Ghazi, pianiste d’origine algérienne largement formé à Montréal, dans le 3e Concerto de Rachmanino­v, probable galop d’essai pour le Concours Van Cliburn auquel le pianiste, qui suit un «doctorat en interpréta­tion» à l’UdeM, participer­a dans deux mois.

Je vais laisser le jury de la phase finale du Van Cliburn statuer sur la chose, car rien de ce que j’ai entendu samedi (production sonore, phrasés, conception musicale et du dialogue avec l’orchestre) ne me met en accord avec celui qui a présélecti­onné Medhi Ghazi pour cette prestigieu­se compétitio­n. Le pianiste est solide et les notes justes sont actionnées au bon moment. C’est déjà beaucoup, mais je suis loin d’imaginer que cela suffise.

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