Les écoles ne sont pas prêtes
Le programme expérimental devait être étendu à l’ensemble des écoles en septembre 2017
Des membres influents du milieu de l’éducation mettent en garde le ministre Sébastien Proulx: le cours d’éducation à la vie sexuelle, que Québec envisageait d’implanter au primaire et au secondaire dès la rentrée de septembre prochain, n’est pas prêt.
Les enseignants n’ont pas été formés pour donner cette matière. Des sources indiquent que le matériel pédagogique n’est pas prêt non plus. Résultat: l’implantation du programme à la rentrée de l’automne 2017 est «irréaliste», ont affirmé au Devoir des membres d’un comité consultatif créé par le ministère de l’Éducation.
Ce comité formé d’une vingtaine de représentants du milieu de l’éducation (syndicats d’enseignants, directions d’écoles et de commissions scolaires, comités de parents, etc.) doit se rencontrer le 20 avril à l’édifice G, à Québec. À environ une semaine de cette rencontre cruciale, les membres n’ont toujours pas en main le bilan de la première année du projet pilote d’éducation sexuelle mis en place en 2015 dans une quinzaine d’écoles. Cette première année a pourtant pris fin en juin 2016, il y a 10 mois.
Le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, n’a pas encore pris sa décision au sujet de l’éducation à la vie sexuelle. Il fera connaître ses orientations « sous peu », indique-t-on à Québec.
Le projet pilote de deux ans a été lancé en 2015 parce qu’il existe un consensus au Québec: il faut améliorer l’éducation sexuelle offerte aux élèves du primaire et du secondaire. Le projet aborde la grossesse, les naissances, mais aussi la vie amoureuse, l’identité, les rôles et les stéréotypes sexuels, ainsi que les agressions sexuelles.
Ces notions faisaient partie du cours Formation personnelle et sociale, qui a été aboli au tournant des années 2000 dans la foulée de la réforme de l’éducation. Depuis, les élèves reçoivent une éducation sexuelle inégale d’une école à l’autre.
Le projet pilote prévoit une formation évaluée entre 5 heures et 15 heures par année. Ce n’est pas un cours en bonne et due forme: il s’agit plutôt d’un « apprentissage », qui peut être donné par plusieurs intervenants à différents moments du calendrier scolaire. Il n’y a pas de case horaire prévue pour l’éducation à la vie sexuelle. Et il n’y a pas d’évaluation sur le bulletin.
Des questions
«Nous sommes en faveur de l’éducation à la vie sexuelle, mais ce qui nous interpelle, c’est qui va les enseigner, ces capsules-là? Il va falloir qu’on trouve des gens dans les écoles », dit Lorraine Normand-Charbonneau, présidente de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE).
La majorité des écoles primaires et secondaires du Québec n’ont pas les ressources pour aider les enseignants à donner cette formation, insistent des membres du comité consultatif sur l’éducation à la vie sexuelle.
«Qu’est-ce qui va arriver dans les écoles où il n’y a personne pour donner les apprentissages? Aurons-nous des infirmières issues du réseau de la santé?», demande Lorraine Normand-Charbonneau.
«C’est prématuré»
Les syndicats d’enseignants estiment que l’éducation sexuelle doit être un cours en bonne et due forme, et non un apprentissage inséré dans plusieurs matières. Ils réclament aussi une formation universitaire en enseignement de l’éducation sexuelle, un peu comme les mathématiques ou le français, qui font l’objet de cours pour les futurs maîtres.
«Pour nous, c’est absolument inconcevable de lancer les apprentissages en éducation à la vie sexuelle en septembre prochain. C’est prématuré, c’est certain», dit Nathalie Morel, vice-présidente de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE).
La Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE) demande aussi une formation, du matériel pédagogique et l’appui de professionnels pour les titulaires de l’éducation à la vie sexuelle.
« Il est plus que temps que le gouvernement remette l’éducation à la sexualité à l’avant-plan des priorités ministérielles», indique la FSE. Violences à caractère sexuel, prostitution, grossesses, recrudescence des infections transmises sexuellement, utilisation des réseaux sociaux chez les jeunes: ces sujets incontournables doivent être abordés avec les élèves, indique la Fédération.
Génération sacrifiée
En entrevue au Devoir, Jasmine Léger, membre du comité femmes de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSE) et victime elle-même, a parlé d’une génération sacrifiée en matière d’éducation à la sexualité.
«Ce n’est pas normal qu’on n’ait pas de cours d’éducation sexuelle, qu’on n’apprenne pas, à l’extérieur de notre petite sphère familiale ou sociale, ce que sont le consentement et une relation sexuelle saine, a-t-elle dit. Il faut commencer à faire de l’éducation sexuelle dès le primaire, c’est primordial. »
Les étudiants arrivent au cégep avec des lacunes, a expliqué Caroline Senneville, présidente de la Fédération des enseignants de cégeps (CSQ), lors des récentes consultations sur les violences à caractère sexuel dans les collèges et les universités.
«Si on veut lutter adéquatement contre ce problème, il faut agir le plus tôt possible, a-t-elle dit. Quand on arrive à 17 ans avec des comportements et des stéréotypes bien ancrés, on est déjà dans la déconstruction. C’est pourquoi on aimerait bien que la ministre [de l’Enseignement supérieur], Hélène David, parle à son collègue [de l’Éducation], Sébastien Proulx, pour qu’il ramène des cours d’éducation sexuelle. »