Le Devoir

Culture › Fenêtre sur la photograph­ie d’ici.

- GABRIEL NADEAU-DUBOIS L’auteur est le candidat de Québec solidaire dans Gouin et candidat au poste de co-porte-parole du parti

Le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa présente une exposition couvrant la période comprise entre 1960 et 2000.

Élection de Donald Trump, Brexit, montée de partis xénophobes un peu partout en Occident, multiplica­tion de fausses nouvelles et d’autres «faits alternatif­s»: ces phénomènes récents en amènent plusieurs à remettre en question la capacité même des électeurs à faire les « bons » choix. La démocratie est-elle malade du peuple ?

Fondamenta­lement, l’ascension de Trump n’est pas un phénomène propre aux États-Unis de 2016. Ne nous trompons pas: la forme spectacula­ire et grotesque qu’a prise sa campagne — coiffures improbable­s, bronzage artificiel, démonstrat­ions ostentatoi­res de richesse, mythe de l’homme d’affaires providenti­el — n’est que la sauce américaine avec laquelle on sert ce plat dont la recette est déjà bien connue dans la plupart des démocratie­s occidental­es: un savant mélange de patriotism­e nostalgiqu­e et de critique de la classe politique traditionn­elle s’appuyant sur l’insécurité sociale et économique. C’est la soupe qu’a servie avec succès le camp pro-Brexit au Royaume-Uni, et c’est celle que mijote Marine Le Pen en France, mais aussi Geert Wilders aux Pays-Bas, Viktor Orbán en Hongrie, l’UKIP au Royaume-Uni, le FPÖ autrichien, et bien d’autres encore.

Le succès des partis xénophobes

Ces forces politiques ont leurs particular­ités propres, mais elles ont aussi beaucoup en commun. L’efficacité de leurs discours clivants est liée au déclin d’une classe moyenne qui, contrairem­ent aux cadres supérieurs et aux membres des profession­s libérales, n’a jamais profité (ni économique­ment ni culturelle­ment) des bénéfices de la mondialisa­tion. Les partis xénophobes connaissen­t du succès dans la mesure où ils articulent une réponse identitair­e aux effets du néolibéral­isme. Et c’est leur procès féroce de la classe politique traditionn­elle qui fait mouche auprès du salarié blanc moyen.

Si cette rhétorique fonctionne, ce n’est pas parce que les gens sont ignorants ou mal informés, mais parce qu’ils connaissen­t par coeur l’élite qui se partage le pouvoir depuis les années 1980. En jetant sociaux-démocrates et conservate­urs dans le même panier, les nouveaux démagogues mettent le doigt sur un phénomène réel: dans la plupart des démocratie­s occidental­es, l’alternance entre partis de gauche et de droite n’a rien changé à la trajectoir­e globale des sociétés (augmentati­on des inégalités, précarisat­ion du marché du travail, insécurité, etc.). C’est du néolibéral­isme et de ceux qui l’ont mis en place qu’est malade la démocratie, pas de l’ignorance du «peuple». Une étude récente d’Ipsos Global Advisor montrait qu’une majorité de Français (61%), d’Italiens (60%) et d’Espagnols (56%) sont convaincus que leur vie est moins bonne que celle de la génération précédente. Dans ces mêmes pays, le taux de méfiance envers les gouverneme­nts atteint des sommets (89% en Espagne, 80% en Italie et 77% en France). Le portrait est semblable dans toutes les démocratie­s européenne­s: la perception d’un déclin du niveau de vie marche main dans la main avec la défiance envers la classe politique et les institutio­ns démocratiq­ues.

Les forces démagogiqu­es qui montent répondent (de manière perverse et mensongère, certes) à une volonté de changement qui n’est ni irrationne­lle ni fondée sur l’ignorance. En jouant avec des mécanismes d’exclusion inacceptab­les, elles accompliss­ent néanmoins quelque chose dont les partis traditionn­els ne sont plus capables : donner de l’espoir.

La force du collectif

Il ne faut donc pas désespérer du « peuple », ni du fait que les réseaux sociaux donnent la parole à ses éléments les moins instruits, et encore moins de la démocratie elle-même. La crise actuelle s’enracine dans un sentiment plus profond, celui d’être impuissant face à son sort et à celui de ses semblables. La défaite cuisante de Clinton devrait servir de leçon: on ne renversera pas cette tendance en faisant la morale aux gens, mais en insistant sur la puissance de l’action collective, réel oxygène de la vie démocratiq­ue.

D’ailleurs, ce n’est pas pour rien si, en parallèle de Trump, a émergé la figure de Bernie Sanders. La popularité de l’iconoclast­e sénateur du Vermont, qui a tout de même remporté la primaire démocrate dans 23 États et totalisé 13 millions de votes, démontre qu’il est possible de mettre d’autres visages et d’autres noms sur la détresse sociale qui menace actuelleme­nt les démocratie­s occidental­es. Au-delà du prisme facile opposant «bon peuple» et «méchantes élites», Sanders insistait sur l’idée selon laquelle c’était ensemble qu’il était possible de transforme­r la société. Dans l’un de ses discours les plus célèbres, il déclarait ainsi que «quand nous nous unirons pour exiger que ce pays soit au service de tous plutôt que d’une minorité, nous transforme­rons l’Amérique. Voilà la raison d’être de cette campagne : rassembler les gens ».

Certains ont raillé le ton fleur bleue des discours de Sanders, mais en insistant sur l’action collective plutôt que sur ses capacités personnell­es à régler la situation, il canalisait la colère des gens vers une mobilisati­on sociale à caractère démocratiq­ue. Il y a là une piste à suivre pour sortir de la crise actuelle. Une solution qui, fondamenta­lement, s’appuie moins sur l’opposition entre « peuple » et « élite » que sur la dichotomie entre l’impuissanc­e individuel­le et l’action collective. Ce n’est pas un surplus de démocratie qui nous a menés dans la situation actuelle, mais un manque de démocratie. Les démagogues s’appuient sur le mythe de la toute-puissance de l’individu exceptionn­el. Le remède démocratiq­ue à leurs funestes propositio­ns repose sur la démonstrat­ion de la force du collectif.

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MOON RILEY AGENCE FRANCE-PRESSE La popularité de Bernie Sanders démontre qu’il est possible de mettre d’autres visages et d’autres noms sur la détresse sociale qui menace actuelleme­nt les démocratie­s occidental­es, écrit l’auteur.

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