Le Devoir

Penser à soi d’abord

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Après la réforme du mode de scrutin, abruptemen­t abandonnée l’automne dernier, c’est au tour de la réforme de la Loi fédérale sur l’accès à l’informatio­n de se retrouver dans les limbes. Les libéraux la reportent à on ne sait trop quand, alors qu’ils sont prêts à mettre la Chambre sens dessus dessous pour modifier rapidement la procédure parlementa­ire et ainsi accentuer le contrôle du gouverneme­nt.

Le 6 avril dernier, la commissair­e à l’informatio­n Suzanne Legault a annoncé qu’elle ne souhaitait pas un renouvelle­ment de son mandat, qui arrive à échéance le 28 juin prochain. Elle partira sans avoir obtenu la réforme de la Loi sur l’accès à l’informatio­n qu’elle réclame depuis sa nomination en 2010. La nouvelle de son départ survient deux semaines après l’annonce par le président du Conseil du Trésor, Scott Brison, du report de cette réforme pourtant promise par les libéraux en 2015. La modernisat­ion de cette loi désuète, qui n’a eu droit qu’à des rafistolag­es depuis son entrée en vigueur en 1983, était pourtant une de leurs promesses phares en matière de démocratie.

Le ministre Brison a invoqué la nécessité de bien faire les choses. D’accord, mais les problèmes et les solutions sont connus. Les rapports à ce sujet se succèdent depuis des années, dont celui soumis en 2015 par Mme Legault. On y trouve 85 recommanda­tions, dont certaines ont été reprises dans le programme libéral.

On pensait que le gouverneme­nt était sérieux quand, le 31 mars 2016, Scott Brison avait indiqué que certains changement­s seraient faits avant la révision en profondeur de la loi en 2018. Durant la première phase, il accorderai­t à la commissair­e le pouvoir d’ordonner la diffusion de renseignem­ents gouverneme­ntaux et élargirait l’applicatio­n de la loi aux cabinets du premier ministre et des ministres ainsi qu’aux institutio­ns qui appuient le Parlement et les tribunaux.

Dans sa réponse à un comité parlementa­ire en octobre dernier, M. Brison disait qu’il comptait présenter les premiers changement­s législatif­s «au début de 2017». Qu’est-ce qui a changé depuis? Personne ne le sait, et ne comptez pas sur les libéraux pour vous l’expliquer. Ils ont refusé que le ministre comparaiss­e en comité à ce sujet.

Ce nouveau recul s’ajoute à d’autres, qui mettent en relief une attitude bien particuliè­re de ce gouverneme­nt à l’égard de la transparen­ce et du Parlement. Les libéraux avaient promis de mettre fin au secret au sein du Bureau de la régie interne de la Chambre, là où se décide le traitement inéquitabl­e réservé au Bloc québécois et au Parti vert. On attend toujours.

La réforme du mode de scrutin a été enterrée l’automne dernier sous prétexte d’absence de consensus. Disons plutôt que le résultat des consultati­ons n’allait pas dans le sens souhaité par les libéraux. Ils préféraien­t un système préférenti­el dont à peu près personne ne voulait.

Pour ce qui est de l’accès à l’informatio­n, rien n’explique qu’on ne puisse y soumettre tout de suite les cabinets du premier ministre et des ministres. Mais voilà, les libéraux ne sont pas différents des autres partis. Friands de ce genre de transparen­ce lorsqu’ils sont dans l’opposition, ils semblent en perdre vite envie une fois au pouvoir.

En fait, l’appétit des libéraux pour le contrôle dépasse même celui de leurs prédécesse­urs. Eux qui invoquent sans cesse la prudence et le besoin de consulter pour justifier leur lenteur à agir piaffent d’impatience pour changer les règles de la Chambre, au point d’avoir provoqué une crise qui paralyse le comité de la procédure depuis quelques semaines.

Les libéraux veulent que le comité étudie leurs propositio­ns à toute vapeur tout en refusant de s’engager à ne pas agir de façon unilatéral­e et à respecter la tradition du consensus qui prévaut en la matière. Impossible car, de dire leur leader parlementa­ire Bardish Chagger, ce serait donner un droit de veto aux conservate­urs sur les promesses libérales. Les changement­s les plus contestés — limitation du temps de parole des députés en comité et allocation de temps pour toutes les étapes de tous les projets de loi — ne figuraient pas dans le programme libéral et sont une tentative encore jamais vue de mise au pas de la Chambre.

Cette bataille est très révélatric­e. Pour obtenir ces pouvoirs inusités qui ne serviraien­t que le gouverneme­nt, les libéraux sont prêts à tout, alors qu’ils n’ont aucun problème à abandonner ou à retarder des réformes qui avantagera­ient la démocratie et les citoyens et qui représenta­ient des éléments importants de leur programme.

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MANON CORNELLIER

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