Le Devoir

Des objets dangereux

- PIERRE TRUDEL

Les révélation­s de Radio-Canada au sujet des dispositif­s d’intercepti­on des signaux des téléphones portables et autres appareils connectés découverts à Ottawa et à l’aéroport de Dorval illustrent la désuétude du cadre juridique de la protection de la vie privée. Tels qu’ils sont conçus, ces appareils procurent à chacun la capacité d’intercepte­r les communicat­ions des autres et de les surveiller à leur insu. Une telle régulation par défaut induit des risques pour les libertés de tous.

Les dispositif­s d’intercepti­on sont configurés pour capter, intercepte­r des signaux des appareils de communicat­ion sans fil. Ils peuvent permettre l’intercepti­on de métadonnée­s ou livrer des accès au contenu des communicat­ions entre un possesseur d’un objet connecté et ses correspond­ants. Ces objets techniques peuvent rendre de grands services afin de débusquer des projets criminels. Mais ils recèlent un important potentiel liberticid­e. Il s’agit d’objets dangereux.

Lorsqu’un objet technique présente des risques pour la vie ou la sécurité des personnes, il est normal que les autorités publiques en réglemente­nt la possession et l’usage. Par exemple, les médicament­s sont des objets issus de la technologi­e. Leur usage est strictemen­t encadré. Il en est de même de plusieurs autres objets, comme les armes à feu ou les explosifs. Les appareils connectés capables d’intercepte­r les communicat­ions à l’insu des gens sont de même nature: ce sont des objets dangereux pour la dignité humaine. Si leur utilisatio­n n’est pas encadrée, ils peuvent mettre à mal nos libertés les plus fondamenta­les.

Dans un monde où la plupart des objets que nous utilisons peuvent communique­r des informatio­ns, il devient essentiel d’encadrer très rigoureuse­ment l’usage des outils destinés à intercepte­r des communicat­ions.

Des lois désuètes

Le cadre juridique censé nous protéger de la surveillan­ce est désuet. La protection de la vie privée à l’encontre des activités de surveillan­ce par les forces de police ou autres investigat­eurs à la solde d’entreprise­s ou d’individus demeure très limitée. La multiplica­tion des dispositif­s possédant un potentiel de surveillan­ce n’a pas été accompagné­e d’une mise à niveau conséquent­e des lois qui exigent des autorisati­ons préalables avant de surveiller une personne.

À l’égard de plusieurs dispositif­s, il n’est même pas certain qu’une autorisati­on judiciaire soit obligatoir­e afin de surveiller une personne. La supervisio­n judiciaire devrait être adaptée de manière conséquent­e en fonction de la puissance des outils de surveillan­ce auxquels les forces de l’ordre peuvent désormais recourir. Il faut renforcer l’exigence d’une évaluation indépendan­te du caractère raisonnabl­e de la surveillan­ce envisagée à l’égard d’un individu.

La surveillan­ce privée, par les entreprise­s ou les employeurs, demeure encore exemptée des exigences d’autorisati­on préalable qui vont pourtant de soi lorsque ce sont des policiers qui demandent de mettre une personne sur écoute.

Les lois actuelles sur la protection des renseignem­ents personnels tournent essentiell­ement autour de l’exigence du «consenteme­nt libre et éclairé». Elles reflètent l’informatiq­ue qui prévalait dans le dernier quart du XXe siècle. À l’égard des activités en ligne ou se déroulant sur Internet, les lois actuelles réglementa­nt la collecte des données personnell­es se limitent en pratique à exiger le consenteme­nt des personnes. La plupart du temps, on se contente de vérifier si les gens ont « consenti ». Et de nos jours, consentir c’est simplement cliquer sur « j’accepte » ! Il faut passer à un paradigme différent.

Pour les objets connectés, dès lors qu’un fabricant nous informe de ce qu’il advient des informatio­ns collectées et que l’on consent, ses obligation­s se limitent pour l’essentiel à assurer la sécurité des données. Compte tenu de la généralisa­tion des objets capables de capter et de transmettr­e des informatio­ns sur nos allées et venues, il faut aller plus loin et exiger de la transparen­ce sur les gisements d’informatio­n de même que les échanges engendrés par ces connexions multiples.

Par-dessus tout, il faut penser la régulation de la protection de la vie privée en intervenan­t à l’étape de la fabricatio­n et du commerce des objets techniques possédant des capacités d’intercepte­r les communicat­ions. Il ne suffit plus de se contenter d’exiger que les gens consentent. Il faut que les configurat­ions mêmes des objets connectés soient régulées de façon à minimiser les risques d’intrusion dans les communicat­ions des autres.

Nous vivons désormais dans un monde d’intelligen­ce ambiante: un grand nombre de nos gestes, même les plus triviaux peuvent produire des informatio­ns. Le droit des forces de l’ordre, des particulie­rs, des entreprise­s ou même des États étrangers de faire usage d’outils capables de capter ces informatio­ns doit être sérieuseme­nt balisé.

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