Le Devoir

Le Pen choque sur le rôle de la France pendant l’occupation nazie

- BÉATRICE LE BOHEC à Paris

La candidate d’extrême droite Marine Le Pen a choqué en jugeant que la France n’est pas «responsabl­e» d’une rafle de juifs sous l’occupation nazie alors que la campagne présidenti­elle entre lundi dans sa dernière ligne droite.

En tête des intentions de vote pour le premier tour le 23 avril, au coude à coude avec le centriste Emmanuel Macron, la candidate des «patriotes» a renoué avec le «refus de repentance», un thème cher aux dogmes traditionn­els du Front national.

Marine Le Pen, qui s’efforce de lisser l’image sulfureuse de son parti longtemps alimentée par les propos antisémite­s et révisionni­stes de son père, Jean-Marie Le Pen, s’est attiré les foudres de ses concurrent­s de tous bords, d’associatio­ns juives et d’Israël.

«Je pense que la France n’est pas responsabl­e du Vél’ d’Hiv» à Paris — la plus grande arrestatio­n massive de juifs pendant la Seconde Guerre mondiale en France —, a estimé dimanche la dirigeante de ce parti en constante progressio­n depuis qu’elle en a pris la tête en 2011.

«Je pense que, de manière générale, plus généraleme­nt d’ailleurs, s’il y a des responsabl­es, c’est ceux qui étaient au pouvoir à l’époque, ce n’est pas LA France», a-t-elle poursuivi lors d’une émission.

En juillet 1942, plus de 13 000 juifs avaient été arrêtés à la demande des nazis et sur ordre du pouvoir français en place pendant l’occupation. Parqués au Vélodrome d’Hiver, ils avaient été ensuite acheminés dans les camps d’exterminat­ion nazis.

La responsabi­lité de cette rafle a pendant des décennies été attribuée aux responsabl­es politiques de l’époque, non à l’État. Ce n’est qu’en 1995 que le président de droite Jacques Chirac a affirmé reconnaîtr­e la responsabi­lité de la France. Depuis, aucun président n’a remis en cause cette position, l’actuel président socialiste François Hollande évoquant un «crime commis en France par la France ».

L’héritage de son père

Pour l’historien Nicolas Lebourg, Marine Le Pen «cherche à se démarquer de nouveau comme candidate antisystèm­e » dans un contexte où les sondages la placent en tête «depuis longtemps, mais sans évolution».

Fait inédit en France, le nombre d’indécis, un électeur sur trois, n’a jamais été aussi fort à moins de deux semaines du vote, et tous les candidats cherchent à mobiliser cette frange électorale.

Selon le politologu­e Bruno Jeanbart, Marine Le Pen, qui a qualifié les chambres à gaz de «summum de la barbarie» en 2011, avait toutefois «jusque-là toujours hésité, refusé le débat» sur le passé de la France. Or, selon lui, «les Français sont très attentifs à l’idée qu’il ne faut pas passer son temps à s’excuser pour le passé».

En février, Emmanuel Macron avait provoqué une polémique en qualifiant la colonisati­on française de « crime contre l’humanité », le contraigna­nt ensuite à atténuer sa déclaratio­n. Le centriste a qualifié lundi la déclaratio­n de Marine Le Pen de «faute politique et historique lourde».

Plusieurs voix s’élevaient aussi pour souligner l’héritage de son père, plusieurs fois condamné pour ses propos liés à la Seconde Guerre mondiale, notamment sa déclaratio­n sur les chambres à gaz: «détail de l’Histoire».

Des associatio­ns juives de France ont dénoncé «le révisionni­sme» de la candidate.

«Marine Le Pen assume tout l’héritage de son père […]. Si certains étaient tentés d’oublier ces évidences, séduits par le ripolinage médiatique de la “dédiabolis­ation”, la présidente du FN s’est elle-même chargée de les rappeler [dimanche] », a estimé le député de droite JeanFranço­is Copé.

Elle «n’aime pas l’Histoire, je pense qu’elle l’arrange», a commenté le candidat socialiste Benoît Hamon.

«La vérité, c’est que le Vél’ d’Hiv a été un crime commis par l’État français», a affirmé le candidat de droite François Fillon.

Israël, dont la politique officielle est de n’avoir aucun contact avec le FN, accusé d’antisémiti­sme, a pour sa part condamné une déclaratio­n «contraire à la vérité historique telle qu’elle a été exprimée par les déclaratio­ns des présidents de France».

Face au tollé, Marine Le Pen s’est dite lundi «indignée par cette opération d’instrument­alisation politique », en rappelant que sa position était aussi celle du général de Gaulle et du socialiste François Mitterrand.

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BENJAMIN CREMEL AGENCE FRANCE-PRESSE Marine Le Pen juge que la France n’était «pas responsabl­e» de la rafle du Vél’ d’Hiv, en 1942 à Paris.

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