Fenêtre sur la photographie d’ici
Le Musée des beaux-arts du Canada montre toute la diversité de la pratique et de la production photographique au Canada entre 1960 et 2000
Ottawa — Andrea Kunard, de l’Institut canadien de la photographie, est heureuse. Elle est parvenue à loger dans l’espace somme toute restreint que lui accorde le Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa une judicieuse sélection de la photographie d’ici. Par son choix d’images tirées de la riche collection dont elle est la conservatrice, Andrea Kunard arrive de surcroît à faire dialoguer dans un même espace des photographes aux horizons pourtant fort différents.
Nous voici devant Arnaud Maggs, Larry Towell, Karsh, Evergon, Michael Snow, Pierre Gaudard, Lynne Cohen, Serge Clément, Fred Herzog, Edward Burtynsky, Claire Beaugrand-Champagne, Michel Campeau… À raison, beaucoup de Québécois se trouvent dans cette sélection de 71 photographes en tout. Mais il y a beaucoup d’absents, forcément. Les choix ont parfois été déchirants.
Chacun a droit, en règle générale, à une seule oeuvre soutenue par un bref carton d’explications. Devant nombre de ces oeuvres, on aimerait pouvoir ouvrir une fenêtre, puis s’échapper par cette ouverture pour découvrir l’horizon du photographe dont on ne nous offre plutôt qu’un reflet.
L’horizon
Quelles sont les oeuvres d’ici en photographie qui constituent des étoiles capables de témoigner de la lumière de leur époque tout en éclairant la nôtre? Diplomate, Andrea Kunard préfère mettre à plat le travail de chacun dans son exposé, avec le souci généreux de n’oublier personne dans son tour d’horizon forcément réduit aux dimensions de cette exposition.
Présentée tout l’été, l’exposition La photographie au Canada, 1960-2000, se consacre aux oeuvres qui vont des années 1960 à l’an 2000. Pourquoi ce découpage temporel, Mme Kunard? Le motif est simple: «C’est au cours des années 1960 que le musée a commencé à constituer sa collection de photographies », explique-t-elle. C’est de là en somme que date sa pleine conscience de cet art. Et l’exposition se ferme parce que s’ouvre un nouveau champ de création avec l’an 2000, explique Andrea Kunard. « Depuis l’an 2000, c’est un peu la fin de la période argentique. Les photographes passent au numérique. Toutes les photographies ici appartiennent à l’ère argentique. C’est un autre univers qui s’ouvre après 2000. »
La photographie au Canada 1960-2000 n’est pas, comme on pourrait le penser a priori, une autre de ces expositions de circonstance vouées à l’édification d’un nationalisme sorti par magie d’un carton d’administrateur afin de se soumettre à la nécessité de célébrer l’anniversaire du Canada de 1867. Cette exposition consacrée à la photographie canadienne constitue plutôt la suite logique d’une série consacrée par le passé à la photographie de divers pays. Les États-Unis et l’Angleterre ont déjà fait l’objet de traitements similaires. Le Canada pointe son nez tardivement dans le lot. Le catalogue de cette exposition toute canadienne est d’ailleurs coiffé du chiffre 5.
Il s’agit là en tout cas d’une façon commode de faire découvrir la richesse de la collection du musée de la capitale fédérale. «C’était une façon pour nous de mettre notre collection en valeur», dit Andrea Kunard. Le catalogue de l’exposition vaut d’ailleurs le détour. En plus d’explications soutenues, il offre de riches ajouts au matériel forcément limité de cette exposition qui couvre large, très large, mais qui constitue de ce fait une formidable introduction pour qui cherche à établir ses repères.
Dialogues
«Je n’ai pas pensé à l’exposition d’un point de vue chronologique. J’aime considérer que les oeuvres peuvent dialoguer et se répondre», souligne Mme Kunard.
Non, l’exposition n’est pas constituée sur une série de dates, mais on sent tout de même bien l’esprit propre à la photographie de certaines époques. Comme ailleurs, la photographie au Canada a permis d’exprimer des idées nouvelles «sur l’art, l’artiste, l’identité, la sexualité et le sentiment d’appartenance». Mais elle a aussi servi à souligner les traits d’une société dans une période donnée.
Ainsi, une salle s’attache davantage à explorer certaines approches de l’identité. Féminisme, culture autochtone, sexualité… Dans cet espace, un magnifique autoportrait du brillant Evergon, un polaroïd géant à la mise en scène complexe. Par hasard, l’artiste entre d’ailleurs dans la salle au moment même où j’observe son travail avec attention: non les artistes ne sont pas fermés sur euxmêmes comme certains le croient. Ils sont même d’ordinaire les premiers à suivre l’actualité qui entoure leur art
Une autre salle de cette exposition est plutôt vouée à la photographie conceptuelle. L’oeil se pose tout de suite sur un gros arbre tête-bêche, oeuvre de Rodney Graham qui rappelle que la raison que nous accordons à l’image est d’abord le fruit d’une inversion que seul un procédé optique photographique permet d’envisager comme s’il s’agissait d’une expression de la réalité.
Ce ne sont pas toujours des photos de légende qui sont choisies dans cette exposition montée par Andrea Kunard. Par exemple, plutôt que les images très connues des mennonites de Larry Towell, la conservatrice a choisi des images troublantes tirées d’une série réalisée par le photographe au Salvador.
Il y a là des marqueurs forts qui ponctuent le regard qu’on pose sur ces salles. C’est le cas certainement d’une immense photographie couleur de Jinme Yoon dans un autoportrait devant le lac Louise enneigé et baigné du bleu du ciel. On est ici dans le cliché d’une Canadienne d’origine asiatique sans cesse confondue avec une touriste et qui montre ainsi un décalage entre la norme nationaliste de l’identité et la réalité. En fin de parcours, on trouve La chambre détruite, une oeuvre géante de Jeff Wall, peut-être le photographe canadien le plus estimé ces dernières années. Une sortie qui confirme bel et bien qu’on vient d’entrer en un lieu digne du plus grand intérêt.