Le Devoir

Révolution à moitié

La première production du Dôme ne fera pas date

- CHRISTIAN SAINT-PIERRE

ANTIGONE AU PRINTEMPS Texte: Nathalie Boisvert. Mise en scène: Frédéric Sasseville­Painchaud. Une production du Dôme. À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 22 avril.

Dix ans après Buffet chinois, une critique peu subtile des dérives du rêve américain qui lui avait tout de même permis de décrocher le prix Gratien-Gélinas, un texte produit à la scène par Momentum, la dramaturge Nathalie Boisvert est de retour avec Antigone au printemps, une tragédie familiale et sociale désincarné­e. Le spectacle, première production du Dôme, est mis en scène par Frédéric Sasseville-Painchaud.

Laisser les tragédies d’Eschyle, Sophocle et Euripide éclairer notre époque, c’est une pratique courante et souvent fertile. Mais transposer, par exemple, les terribles destins des descendant­s d’OEdipe dans le XXIe siècle, c’est une opération bien plus délicate. Nathalie Boisvert n’est pas la première à s’y risquer, et elle ne sera certaineme­nt pas la dernière. Nombreux sont les créateurs qui ont reconnu Antigone, symbole par excellence de l’opposition au pouvoir, dans les révolution­s qui éclatèrent aux quatre coins du globe au cours des dernières années. Avec sa conviction, sa déterminat­ion, sa soif de justice, son aspiration à ce que les siens vivent et meurent dans la dignité, Antigone aurait certaineme­nt joué un rôle clé dans le Printemps arabe, le mouvement Occupy ou encore la crise migratoire.

Nathalie Boisvert a quant à elle choisi de camper son Antigone en plein Printemps érable. L’héroïne de 17 ans, qui vient tout juste de découvrir la terrible malédictio­n qui s’acharne sur sa famille, l’inceste dont elle est issue, s’engage corps et âme dans le mouvement étudiant. On apprend que le tyran, Créon, a mis le feu aux poudres en décrétant une loi spéciale empêchant quiconque de manifester dans les rues de la ville. Ça vous rappelle quelque chose? Les frères d’Antigone, Polynice et Étéocle, appartienn­ent bien entendu à des camps opposés. Alors que le premier milite auprès de sa soeur, le second s’engage dans la milice de Créon. Dans le deuil de ses frères, morts au combat, Antigone remuera ciel et terre pour offrir à Polynice, honni, des funéraille­s dignes de son courage.

Malgré une langue riche, cohérente, rythmée et lyrique, indéniable­ment poétique, les mots refusent de quitter la page. C’est que les propos des trois protagonis­tes ne sont adressés qu’aux spectateur­s. Aucun dialogue entre les membres de la fratrie. Aucune action se déroulant au présent. Toujours le récit, la narration de faits, de gestes et d’intentions qui finissent presque par nous indifférer. Malgré l’audace formelle dont l’auteure a fait preuve en misant ainsi sur l’entrelacem­ent de trois monologues, le texte ne passe pas la rampe.

La mise en scène n’arrange rien. Du sol recouvert de pierres à la musique en direct de Mykalle Bielinski, la beauté est au rendez-vous, mais ne fait qu’épouser le caractère déjà éthéré de la partition. Quant à Xavier Huard (Étéocle), Frédéric Millaire-Zouvi (Polynice) et Léane Labrèche-Dor (Antigone), ils déclament leur texte comme une musique où chaque note aurait plus ou moins la même valeur. Par une tragédie, même contempora­ine, on s’attend à être saisi, empoigné, ou à tout le moins ému. Malheureus­ement, rien de tout cela ne se produit en ce moment à la salle Fred-Barry.

Les propos des trois protagonis­tes ne sont adressés qu’aux spectateur­s. Aucun dialogue entre les membres de la fratrie.

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