Le Devoir

Prendre le monde en plein visage

- MICHEL BÉLAIR à Reims Michel Bélair était à Reims à l’invitation du festival Méli’Môme.

La question n’est pas neuve et la réponse varie toujours selon l’angle sous lequel on aborde la vie : peut-on tout dire aux enfants? Non, bien sûr. Mais cela n’empêche pas les compagnies jeunes publics de mettre aussi en scène la dureté du monde…

Avec ce que l’on diffuse chaque jour aux informatio­ns télévisées, avec ces horreurs banalisées qui sont devenues le quotidien d’un peu tout le monde, il ne faut donc pas s’étonner d’être sorti vendredi dernier de Méli’Môme en ayant eu tout au long l’impression de s’être pris le monde en plein visage. En beauté souvent, parfois même en douceur, mais quand même en plein visage, oui.

Durant les presque deux semaines passées à Reims à voir une bonne quinzaine de production­s, une évidence s’est peu à peu imposée d’un spectacle à l’autre: l’audace. À l’exception en effet d’un ersatz d’opéra mal ficelé (Forge!) et d’un très bel objet théâtral non identifiab­le mais ingénieux dans sa façon de raconter (Dans le tout, de la Bulgare Mila Baleva), une sorte de fil rouge relie la majorité des production­s que j’ai vues autour de l’audace de dire le monde qui est le nôtre. Avec ce qu’il porte d’énergies créatrices insoupçonn­ées. Avec, aussi, les messages catastroph­iques qu’il véhicule et qui nous menacent tous. C’est loin d’être banal pour un festival de théâtre qui vise les jeunes publics.

Sans concession­s

On saisira un peu plus le propos quand on saura que la production pour moi la plus marquante de cette 28e édition de Méli’Môme, Us/Them de la compagnie flamande Bronks, raconte à des préadolesc­ents la prise d’otages de l’école de Beslan en 2004. Il y eut là près de 350 personnes tuées par des terroriste­s tchétchène­s, dont 186 enfants… pourtant cela donne un spectacle d’une extraordin­aire énergie raconté de façon brillante, drôle souvent, mais sans concession aucune.

On pourrait faire le même commentair­e à propos de Our House, une coproducti­on germano-rwandaise, qui fait écho à la réconcilia­tion en cours après le génocide de 1994 dans lequel périrent plus de 800 000 Tutsis. Ou encore, parler du Garçon à la valise (dès huit ans), un texte de Mike Kenny mis en scène de façon inventive par Odile Grosset-Grange et qui retrace le parcours d’un jeune migrant vers l’Angleterre. Ce sujet a d’ailleurs affleuré à quelques reprises dans un spectacle à la forme innovante, Radio Live, qui reproduit sur scène une émission en direct illustrant des parcours de vie extrêmemen­t stimulants.

« Stimulant » est un mot qu’on a aussi beaucoup entendu à la sortie de 9, la remarquabl­e production de Cas public chorégraph­iée par Hélène Blackburn. C’est pourtant un spectacle exigeant (pour des enfants de six ans et plus) qui repose sur une réflexion profonde sur la surdité et la différence. Cette même exigence s’affirmait aussi de façon brillante et audacieuse dans Fussball mit Stilettos, un spectacle flamand aussi trash qu’inventif dénonçant l’intransige­ance face à l’homosexual­ité et s’adressant à un public adolescent.

Cette volonté de dire l’empreinte des choses importante­s transpire aussi dans Fratries, le plus récent opus d’Ève Ledig et Jeff Benignus — une très belle et très efficace propositio­n chantée et dansée pour les enfants dès sept ans — qui s’inspire de la relation frères-soeurs. De même, Séverine Coulon a choisi elle aussi de dénoncer, dans Filles et soie, les stéréotype­s des rôles féminins en déconstrui­sant quelques contes à l’aide du théâtre d’ombres. Elle a eu l’audace de proposer, fort justement, son spectacle aux enfants dès cinq ans.

Il faudrait aussi parler longuement de la pertinence du second spectacle québécois du festival, Les choses berçantes, du Théâtre des Confettis pour les tout-petits dès 18 mois, et d’une très belle propositio­n danoise en forme de haïkus, La fascinatio­n des pommes… mais l’espace ne nous en permet pas plus.

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