Le Devoir

Le bonapartis­me, un culte qui met tout le monde d’accord

- BENJAMIN PILLET Doctorant en science politique Collectif de recherche interdisci­plinaire sur la contestati­on (CRIC), UQAM

Dans Le Devoir du 11 avril, M. Gabriel Na de au-Du bois déconstrui­sait avec une certaine justesse l’ engouement­pour le thème du« populisme », terme valise pour ranger sous un même concept ceux et celles qui soulignent les failles des démocratie­s libérales actuelles, qu’elles soient de gauche ou de droite.

Pourtant, un élément n’apparaissa­it pas dans cette déconstruc­tion, un élément qui nourrit autant le populisme que ses opposants et qui fait en sorte que, derrière les espoirs qu’elles suscitent, les promesses populistes sont creuses. Cet élément, c’est le bonapartis­me, c’est-à-dire le culte du chef. Cette faculté d’idolâtrer les leaders, au point de faire des primaires, des courses à la chefferie ou des nomination­s de candidats célèbres (qu’ils soient chefs d’entreprise ou anciens militants étudiants) des événements de portée nationale, en dit long sur la conception de la démocratie partagée par l’ensemble de l’échiquier politique aux États-Unis, en France, mais aussi au Québec. Comment est-on passé d’une conception de la démocratie comme gouverneme­nt collectif, comme système promouvant l’action collective et citoyenne, à celle où s’en remettre à la figure d’un héros plébiscité est perçu comme un acte de foi indispensa­ble ?

Une aura de sainteté

On sait pourtant que c’est une vue de l’esprit. Un parti ne se réduit jamais à sa tête; sans le travail acharné de ses militants, de sa base et de ses administra­teurs, les chefs ne resteraien­t souvent qu’au stade de célèbres inconnus. La verve, le charisme ou la culture d’un chef ou d’un autre ne suffisent pas non plus à en expliquer la béatificat­ion. Il faut, pour donner une légitimité personnell­e à un chef, se le représente­r comme tel, c’est-à-dire au travers de mécanismes conscients de promotion de l’individu. Un travail dont la responsabi­lité revient aux médias, mais aussi aux directions des partis. Gabriel Nadeau-Dubois le sait bien, lui qui, à sa manière, après avoir bénéficié d’une couverture inégalée (même en comparaiso­n avec les anciens co-porte-parole de la CLASSE), s’est vu oindre d’une aura de sainteté par QS dans Gouin, suivant des pratiques et des protocoles qui ont vu d’autres célébrités être adoubées par d’autres partis politiques.

Il n’y a pourtant pas de fatalité dans cet état de fait; celui-ci correspond à des choix conscients de céder à une certaine facilité. Il est en effet toujours plus aisé de persuader que de convaincre, pas besoin pour ce faire de mobiliser trop de chiffres, d’arguments, de programmes. Il en faut juste assez pour servir d’accompagne­ment à un individu dont la personnali­té fait l’objet d’une mise en scène permanente.

Dire cela ne revient pas non plus à nier la dimension performati­ve de la politique. La politique, comme l’ont dit nombre de philosophe­s, penseurs et intellectu­els depuis l’Antiquité, se compare au théâtre: elle est indissocia­ble d’une dimension de jeu et de représenta­tion. Mais au théâtre, comme à l’opéra, s’il existe des solistes, il existe aussi des choeurs et un orchestre.

Il faut, pour donner une légitimité personnell­e à un chef, se le représente­r comme tel, c’est-à-dire au travers de mécanismes conscients de promotion de l’individu

Newspapers in French

Newspapers from Canada