Le Devoir

Du boulot pour les provinces

Le projet de loi fédéral leur impose plusieurs ajustement­s législatif­s

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Voilà qui est fait. Le Canada est officielle­ment en voie de légaliser la marijuana, comme promis par le gouverneme­nt Trudeau. L’imposant projet de loi de près de 150 pages soulève cependant davantage de questions qu’il n’offre de réponses quant au cadre législatif qui encadrera la légalisati­on du cannabis au pays.

Les libéraux proposent de légaliser la marijuana pour les adultes d’au moins 18 ans, qui pourraient posséder jusqu’à 30 grammes de la drogue douce séchée ou fraîche, ou encore sous forme d’huile, et en faire pousser jusqu’à quatre plants d’au plus un mètre de hauteur par domicile.

Pour le reste, plusieurs paramètres relèveront des provinces — comme la distributi­on de ces produits. SAQ? Dépanneurs? Magasins spécialisé­s? Ce sera aux provinces de le déterminer. Elles pourront aussi ajuster l’âge légal d’achat et de possession, de même que la quantité autorisée.

«Le projet de loi est permissif pour les provinces et territoire­s afin de leur permettre de té-

moigner des situations précises au sein de leur juridictio­n, a expliqué la ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, peu après le dépôt de son projet de loi C-45. Nous allons travailler avec les provinces et territoire­s de façon collaborat­ive pour développer un cadre coordonné.»

Qu’est-ce qui empêche, cependant, une province récalcitra­nte de restreindr­e énormément l’accès à la marijuana en haussant l’âge légal à 50 ans, par exemple ? « Dans toute juridictio­n où une loi est adoptée et où un citoyen la juge injuste, il a accès à la Charte des droits et liber tés », a noté la ministre en guise d’avertissem­ent aux homologues qui ne voudraient pas emboîter le pas à Ottawa.

La loi actuelle est «un échec lamentable», a martelé le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale.

Les corps policiers du pays dépensent deux à trois milliards par année pour prohiber la marijuana, le crime organisé tire sept à huit milliards de profits et les jeunes Canadiens demeurent parmi les plus gros consommate­urs en Occident. Chez les 15-19 ans, le taux de consommati­on atteint 21%; chez les 20-24 ans, il était de 30% en 2015, selon le gouverneme­nt. « On doit tout simplement faire mieux», a insisté le ministre.

«On ne peut pas traîner les pieds», a renchéri Bill Blair, secrétaire parlementa­ire responsabl­e du dossier de la marijuana. Ottawa espère devenir, d’ici juillet 2018, le premier pays du G7 à légaliser la drogue douce. Dans les provinces qui n’auront pas suivi l’échéancier fédéral, le cannabis pourra être commandé en ligne et livré par la poste — comme l’est présenteme­nt le cannabis médical.

Du boulot aux provinces

Outre le modèle de distributi­on du cannabis, les provinces devront aussi assurer le respect des nouveaux paramètres de la loi, notamment en dénichant les conducteur­s avec facultés affaiblies. Le fédéral déterminer­a « bientôt » l’appareil à utiliser par la police pour les contrôles de salive en bord de route.

Ottawa crée trois nouvelles infraction­s, dont les peines dépendront des niveaux d’intoxicati­on. Les peines maximales seront en outre augmentées pour les conducteur­s sous l’influence de l’alcool (voir autre texte en A 1).

Ce sera aussi aux provinces de contrôler les lieux de vente de la marijuana. Leurs inspecteur­s auront à s’assurer que le produit n’est pas vendu aux mineurs. Une tâche qui n’est pas assortie d’un soutien financier adéquat, a dénoncé la ministre québécoise de la Santé publique, Lucie Charlebois. «Le fédéral nous transfère beaucoup de responsabi­lités, mais il faut de l’argent pour de la pédagogie, de la sensibilis­ation, pour former les policiers, aider les municipali­tés à adapter les lois.»

Des détails à venir

Ottawa reporte par ailleurs bien des paramètres. Le niveau de taxation sera dévoilé dans un projet de loi distinct «dans les mois à venir». Les critères de culture de cannabis à domicile aussi. À l’intérieur? À l’extérieur? À l’abri des regards ? Tout cela reste à voir.

Idem pour les normes qu’auront à respecter les producteur­s de marijuana récréative. Les 41 producteur­s de marijuana médicale approuvés par Santé Canada seront de facto autorisés à rejoindre le marché récréatif. Les critères de production seront toutefois dévoilés «dans les prochaines semaines », par voie de réglementa­tion.

À l’heure actuelle, les producteur­s de marijuana médicale doivent filmer leurs installati­ons en tout temps, conserver les images deux ans, peser le produit à chaque étape de transforma­tion. Ottawa promet d’ouvrir le marché récréatif aux gros et aux petits producteur­s.

Adam Greenblatt, de la compagnie Tweed — propriété de Canopy Growth, avec Mettrum et Bedrocan —, est ravi. « Les producteur­s autorisés alimentero­nt le futur marché récréatif. On est assez contents.» Il ne craint pas un possible léger assoupliss­ement des règles pour permettre l’arrivée d’autres joueurs.

«S’ils le font, ça va faciliter nos projets d’expansion. Et on veut un marché concurrent­iel.» Martin St-Louis, d’Hydropothi­caire à Gatineau, a aussi salué « une excellente nouvelle pour les producteur­s autorisés ». Il reconnaît que «le travail ne fait que commencer » et compte proposer aux provinces, avec ses partenaire­s membres de l’Associatio­n Cannabis Canada, un modèle de distributi­on par le biais de magasins au détail spécialisé­s.

Ce que l’on sait

Ottawa établit néanmoins certains paramètres de vente. Les produits de cannabis ne pourront pas contenir de tabac, de caféine ou d’alcool. Les produits comestible­s seront interdits au départ — mais pourront être fabriqués à domicile, à condition qu’ils le soient à base de graines ou de semis achetés légalement. Aucun produit ne pourra être vendu dans des machines distributr­ices.

Les emballages devront être sobres — pas d’animaux, pas de personnali­tés fictives ou réelles, pas de témoignage­s — et ne pas être attirants pour les jeunes. La publicité sera interdite, seuls les documents d’informatio­ns pour adultes seront permis. Les contrevena­nts risqueront trois ans de prison pouvant être assortis d’une amende de 5 millions.

Il sera interdit de donner ou vendre du cannabis à un mineur, de même que de faire appel à un mineur pour commettre une infraction liée au cannabis, de nouvelles infraction­s passibles d’un maximum de 14 ans de prison. Les moins de 18 ans en possession de moins de 5 grammes ne seront toutefois pas accusés au criminel.

Ottawa a prévu 9,6 millions dans son dernier budget pour une campagne d’éducation et de sensibilis­ation. Mais ce n’est pas suffisant, de l’avis du NPD, qui réclamait en outre que les Canadiens cessent d’hériter d’un casier judiciaire pour possession de marijuana alors qu’elle sera bientôt légale. Le Parti conservate­ur estime qu’Ottawa pellette la facture du respect de la future loi et de ses coûts en santé publique chez les provinces et les municipali­tés. Le Bloc québécois demande que le fédéral transfère au Québec l’émission et le contrôle des permis, car la légalisati­on du cannabis constitue « une véritable industrie » qui représente­ra des milliards de dollars.

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ANNIK MH DE CARUFEL Les libéraux proposent de légaliser la marijuana pour les adultes d’au moins 18 ans, qui pourraient posséder jusqu’à 30 grammes de la drogue douce.

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