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Un texte d’Yvan Allaire et de François Dauphin.
Une responsabilité cruciale pour tout conseil d’administration est certes de maintenir et de renforcer la réputation de l’entreprise auprès des publics critiques pour son succès et sa survie. Les conseils doivent, c’est la loi, agir dans l’intérêt à long terme de l’entreprise. Ils doivent se préoccuper de l’impact des montants payés à leurs dirigeants sur la légitimité sociale de leur entreprise.
Toutefois, établir une juste rémunération pour les dirigeants d’entreprise est devenu, pour leurs conseils d’administration, une sorte de noeud gordien; mais au fil des années, en conséquence des pressions exercées sur les conseils, des principes de rémunération généralement reconnus (PRGR) furent proposés et adoptés par la plupart des entreprises. Ces principes portent sur plusieurs aspects de la rémunération, parmi lesquels on trouve ceux-ci :
une proportion importante de la rémunération des hauts dirigeants doit être «à risque», c’est-à-dire qu’elle doit s’arrimer à des mesures de performance financière ou être associée directement à la valeur du titre ; en clair, cela signifie qu’une grande partie de la rémunération prend la forme d’options sur le titre ou d’unités dont le prix est lié au prix de l’action ;
le montant total de la rémunération est établi en référence à celui octroyé aux dirigeants d’entreprises dites «comparables»; cette démarche se veut une façon de mesurer la valeur «marchande » du dirigeant, que l’on estime plus mobile qu’à une autre époque.
Pourvu que le titre de la société montre une performance positive au cours de la dernière année, idéalement une performance supérieure à un indice pertinent, la rémunération des dirigeants ne suscitera pas de réaction outragée, du moins de la part des actionnaires institutionnels.
Cette démarche de rémunération est devenue la norme et fait en sorte que des niveaux de rémunération que d’aucuns jugent inexplicables et inacceptables ne suscitent qu’une agitation de brève durée dans les médias… habituellement.
Évidemment, si la performance financière de l’entreprise est médiocre, les actionnaires pourront manifester leur mauvaise humeur en exerçant leur droit de vote (consultatif) sur la rémunération des dirigeants ou encore en votant contre l’élection de certains membres du conseil.
Tout change ou devrait changer si l’entreprise se trouve en situation difficile, exigeant un vigoureux redressement. Les PRGR habituels deviennent alors caducs. Comment convient-il de rémunérer la direction dans ces circonstances ?
Rémunération des dirigeants d’une entreprise en redressement
Cette entreprise doit recruter des dirigeants capables de redresser la situation. Comment persuader des cadres supérieurs de laisser un emploi dans une société stable pour assumer les risques d’un emploi au sein d’une entreprise en redressement ?
Plus que pour une société en continuité stratégique, le redressement d’une entreprise ne se fait qu’au prix d’un travail acharné, en situation de stress permanent pour les dirigeants. Ceux-ci devraient-ils être moins bien payés que ceux-là, surtout si les causes des difficultés de l’entreprise ne leur sont pas imputables ?
Quelle forme de rémunération devrait adopter le conseil d’administration dans une telle situation ?
Puisque la trésorerie et les flux financiers sont critiques pour l’entreprise en redressement, la rémunération des premiers dirigeants ne devrait comporter que le minimum de débours ; ainsi, pas de bonus annuel et pas d’augmentation salariale.
Par contre, au moment de l’embauche de nouveaux dirigeants, des options sur le titre devraient leur être accordées en nombre suffisant. Bien que nous soyons en principe opposés aux octrois d’options, cette forme de rémunération est inévitable dans des circonstances de redressement ; ces options ne devraient être exerçables qu’au terme de trois ans à l’emploi de la société. Si la nouvelle équipe de direction réussit l’opération de redressement, elle en recevra des bénéfices financiers considérables.
Cependant, il faut abandonner la pratique d’ajouter chaque année de nouvelles options à la rémunération de ces dirigeants.
Le conseil ou ses porte-parole devront expliquer clairement que ces options ne font aucun usage de la trésorerie de l’entreprise et que la valeur financière que l’on attribue à cette forme de rémunération est entièrement hypothétique, basée sur une formule mathématique discutable d’ailleurs. Si les nouveaux dirigeants ne réussissent pas à redresser l’entreprise, la valeur de ces options risque d’être de « zéro » !
Dans un contexte de redressement, les premiers dirigeants ne devraient pas recevoir d’unités reliées au prix de l’action autres que des options.
En ce qui concerne les membres de la direction d’expertise plus technique et recrutés dans le cadre du redressement, le conseil doit expliquer que leur rémunération a été établie au niveau nécessaire pour les attirer et assurer leur rétention. Leur programme de rémunération devrait comporter une forte composante variable attribuée au moment de se joindre à l’entreprise seulement.
En somme, dans un contexte de redressement parfois avec retentissement social et politique, le conseil d’administration doit concevoir des programmes de rémunération inédits et sensibles à ces réalités.
Un porte-parole du conseil, son président ou, si celui-ci est en cause, l’administrateur principal, doit défendre les décisions du conseil sur les tribunes médiatiques. Contrairement à la pratique ayant cours au Royaume-Uni, où le président du conseil devient le principal porteparole de la société pour tout ce qui relève de la gouvernance, les conseils d’administration nord-américains adoptent à tort une posture effacée et s’absentent de la scène médiatique quand l’entreprise dont ils assument la gouvernance est soumise à des critiques.
Établir une juste rémunération pour les dirigeants d’entreprise est devenu une sorte de noeud gordien
(Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que leurs auteurs.)