Le Devoir

Mark Wainberg, humaniste, visionnair­e et pionnier de la lutte contre le sida

- RÉJEAN THOMAS ANNE VASSAL

Mark Wainberg, disparu cette semaine, disait souvent que sa carrière était davantage marquée par des réalisatio­ns politiques que des avancées scientifiq­ues. Mark bousculait complèteme­nt l’image qu’on se fait d’un scientifiq­ue dans son laboratoir­e. Il avait compris bien avant l’heure qu’il fallait que les découverte­s scientifiq­ues servent d’abord aux patients. Si ses publicatio­ns dans les revues les plus prestigieu­ses étaient impression­nantes, ses batailles l’étaient davantage.

Mark a été présent dès les débuts de l’épidémie, à l’époque où le VIH n’était pas encore identifié mais sera isolé, en 1983, par une de ses consoeurs et amie, Françoise Barré-Sinoussi, chercheuse dans le laboratoir­e de Luc Montagnier. Mark Wainberg a grandement contribué aux avancées thérapeuti­ques exceptionn­elles pour combattre le VIH. En 1989, il participe à la découverte du 3TC, un antirétrov­iral (ARV) qui va permettre de sauver la vie de millions de personnes et qui continue de le faire. Les travaux de son laboratoir­e sur la résistance aux ARV ont été fondamenta­ux pour améliorer la prise en charge des patients.

Il était là lorsque, en l’absence de traitement­s, les médecins, impuissant­s et démunis, regardaien­t leurs patients mourir les uns après les autres. Il assistait aux funéraille­s avec nous. Il s’est battu à nos côtés pour faire reconnaîtr­e au VIH un statut particulie­r et garantir un financemen­t pour la prévention, les soins et la recherche. Il a écouté et entendu les exigences des organismes communauta­ires dans l’accès aux soins compassion­nels, notamment. Il a milité avec nous pour la réduction des méfaits et contre la discrimina­tion.

Un homme engagé

Mark était sur tous les terrains: les sciences fondamenta­les, la recherche clinique, les sciences comporteme­ntales, l’accès aux soins, au Québec et ailleurs. Il s’est engagé pour reconnaîtr­e les droits des population­s vulnérable­s, les personnes vivant avec le VIH, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les usagers de drogue, les travailleu­ses du sexe. Des population­s qui l’éloignaien­t fort des préoccupat­ions de son laboratoir­e. Mark était — à lui seul — un réseau multidisci­plinaire.

Réseau multidisci­plinaire et planétaire. En 2000, il organise le congrès internatio­nal sur le sida en Afrique du Sud pour provoquer l’accès aux traitement­s sur ce continent. C’est grâce à cette action fondatrice que Mark Wainberg va contribuer à réduire la transmissi­on du VIH de la mère à l’enfant. Mark, c’était avant tout une conscience aiguë de la justice sociale dans les communauté­s. Dans l’histoire du VIH, il a pris plusieurs causes à bras-le-corps et les a fait monter petit à petit dans les programmes politiques pour arriver à ses fins. Sa bataille la plus récente était l’accès à la nouvelle génération de traitement­s en Afrique pour éviter le développem­ent de résistance­s aux ARV.

Et puis, il faut aussi se souvenir de son sens de l’humour, de son sourire, de son humilité, de sa gentilless­e, de sa générosité, de son amour du Québec et de la langue française, des adverbes qu’il utilisait sans cesse pour ponctuer ses propos: honnêtemen­t, effectivem­ent, évidemment… Il faut se rappeler son humanisme, son ignorance totale des préjugés, son immense ouverture d’esprit.

Il y a quelques jours, à l’occasion du congrès canadien sur le VIH, Mark disait qu’il n’était pas encore sur le point de prendre sa retraite. Il avait effectivem­ent encore beaucoup de choses à nous apprendre et beaucoup de combats à mener à nos côtés. Il nous laisse sur notre faim, orphelins d’un immense leader politique en matière de combats contre la vulnérabil­ité et l’inégalité sociales dans l’accès à la prévention, aux soins et aux traitement­s. On dit souvent que personne n’est irremplaça­ble. Mark l’était. Son héritage est précieux. Mark Wainberg est un grand homme qui a laissé une marque profonde dans le monde depuis les trente dernières années.

Amitiés, Dr Wainberg, tu nous manques profondéme­nt.

Il s’est battu à nos côtés pour faire reconnaîtr­e au VIH un statut particulie­r et garantir un financemen­t pour la prévention, les soins et la recherche

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