Le Devoir

Policiers insouciant­s

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Les travaux de la commission Chamberlan­d ont montré le vrai visage du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). La chasse aux sources? Rien de plus normal.

La commission Chamberlan­d n’a peut-être pas le même écho que la commission Charbonnea­u dans l’esprit du public, mais, pour le monde journalist­ique, c’est le sujet de l’heure. Jamais la protection des sources n’avait fait l’objet d’un débat sociétal aussi important que devant la commission présidée par le juge Jacques Chamberlan­d et les commissair­es Guylaine Bachand et Alexandre Matte. Les craintes des journalist­es se confirment. Ils connaissai­ent déjà le potentiel liberticid­e de la collecte des métadonnée­s. Cette pratique, associée jusqu’à tout récemment aux agences de sécurité nationale, s’étend peu à peu aux corps policiers et à des acteurs non étatiques. Les journalist­es découvrent maintenant une cruelle réalité grâce aux travaux de la Commission. Le journalism­e d’enquête, la protection des sources et le droit à la liberté de presse? Le monde policier s’en balance.

Comment expliquer autrement le témoignage du directeur du SPVM, Philippe Pichet ?

Le chef Pichet et sa garde rapprochée étaient au courant de la mise sous surveillan­ce du journalist­e de La Presse Patrick Lagacé. Pire, M. Pichet était d’accord, ne voyant là aucun problème.

La banalité avec laquelle le SPVM a traité cette affaire délicate est renversant­e. Une enquête comme les autres, quoi. Le chef et ses adjoints se sont assuré de la conformité des procédures, en bons bureaucrat­es, sans réfléchir plus à fond aux droits et aux principes qu’ils s’apprêtaien­t à fouler.

Même si les journalist­es ne font pas partie d’un ordre profession­nel, comme les avocats ou les psychologu­es, ils revendique­nt le droit à la protection des sources, dans une logique du cas par cas reconnue à maintes reprises par les tribunaux. Le SPVM aurait dû prendre ces précédents en considérat­ion, et sous-peser l’importance du journalism­e d’enquête dans une société démocratiq­ue, avant de se tourner aussi rapidement vers un juge de paix pour obtenir les registres téléphoniq­ues du chroniqueu­r.

Contrairem­ent à ce qu’affirme le bras droit du chef Pichet, Didier Deramond, l’absence d’une définition légale de ce qu’est un journalist­e n’empêche pas de faire respecter le droit à la protection des sources.

Avant de mettre un journalist­e sous surveillan­ce relativeme­nt à ses activités, il y a lieu de soupeser l’intérêt légitime du SPVM à faire avancer une enquête, et le droit, tout aussi légitime, des journalist­es de protéger leur matériel et leurs sources. Cet exercice de pondératio­n n’entre pas dans la tête des policiers, pour qui la poursuite des enquêtes, peu importe leur pertinence, est primordial­e.

L’affaire Lagacé en est un triste exemple. Les policiers n’ont déposé aucun de ses écrits en preuve au soutien de leur demande pour accéder à ses données. Ils ont plutôt présenté à un juge de paix des articles de concurrent­s. Les journalist­es se parlaient entre eux… Des informatio­ns anonymes étaient divulguées aux médias… Des policiers auraient fabriqué des preuves… Et c’est sur la base de ces soupçons flous qu’un dispositif de surveillan­ce intrusif visant un journalist­e se met en branle dans un État de droit ?

La commission Chamberlan­d est encore loin de l’étape des recommanda­tions, mais ses travaux démontrent déjà que la protection des sources nécessiter­a une surveillan­ce sans relâche et un contrôle judiciaire accru des enquêtes policières à ce sujet.

Un régime de protection des sources efficace passe par un contrôle judiciaire accru des forces policières.

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BRIAN MYLES

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