Le Devoir

Un divin paradoxe

La foi et la très discrète relation des Québécois avec la religion, selon le curé de la basilique Notre-Dame

- ÉMILIE FOLIE-BOIVIN

Oui, bonjour, je viens rencontrer, euh, monsieur… le curé?» La réceptionn­iste sourit, le regard aussi amusé que compatissa­nt. Ce n’est pas la première fois qu’elle croise une jeune personne qui ne sait pas trop comment aborder un curé, en particulie­r celui de la basilique Notre-Dame.

Révérend? Mon père? « Miguel. Appelez-moi Miguel», propose-t-il, vêtu d’un tricot noir parsemé de touches vertes, jaunes et rouge pâle. Sans ses ornements, c’est ainsi que Miguel Castellano­s, prêtre de la basilique depuis l’automne 2015, se fait appeler.

Il est le premier à constater, à regret, que les rares notions religieuse­s insufflées dans la vie des jeunes peu habitués à fréquenter les lieux de culte viennent de la télé (merci 2017 pour Les pays d’en haut et l’extravagan­t The Young Pope).

Mais Miguel Castellano­s, qui est arrivé à Montréal en 2003, constate, ravi, une soif de spirituali­té naissante chez les 22-32 ans. «Ils sont curieux et en quête de quelque chose. Ils n’ont rien contre l’institutio­n, contrairem­ent à leurs parents. » Depuis que les Québécois se sont éloignés de l’Église dans la foulée de la Révolution tranquille, un vide spirituel s’est creusé chez les génération­s suivantes, faute d’avoir reçu une éducation religieuse.

Les gens qui fréquenten­t la basilique Notre-Dame sont à 75 % anglos ou allophones. Surtout l’été, pendant les vacances. « Les touristes ne veulent pas rater la messe. Un Américain catholique en voyage voudra aller à la messe, même s’il ne comprend rien à la langue. »

Frileux, mais pieux

Les Québécois, eux, n’en sont visiblemen­t pas à un paradoxe près. Car s’ils tournent le dos à la foi et au froid, les snowbirds sont nombreux à fréquenter une église une fois nichés à Fort Lauderdale. Ils vont à la messe, vraiment ? «Oui! C’est un peu étrange… » s’étonne l’ancien professeur d’université.

Il a même connu des prêtres venus des États-Unis pour apprendre le français dans l’espoir de découvrir ce qu’ils pourraient bien faire avec cette nuée de nouveaux fidèles francophon­es.

Il admet que les messes américaine­s sont complèteme­nt différente­s des nôtres, plus classiques. Ne serait-ce qu’à travers leur musique — il y a aussi du gospel en Floride —, qui rejoint davantage les Québécois. «Si on leur présentait autre chose, je crois qu’on pourrait les attirer de nouveau, pense le curé originaire de la Colombie. Mais ce sera très, très long. »

Avant d’arriver à Montréal, Miguel Castellano­s était professeur de philosophi­e au Brésil. Il a également vécu en Italie et en France, des pays où la manifestat­ion de la foi — «plus ouverte, plus joyeuse» — est beaucoup plus dynamique que la nôtre. Il reconnaît avoir eu de la difficulté à s’adapter à la distance des Québécois envers la religion catholique, eux qui sont plus réservés dans leur expression de la foi. «Ils ont eu une expérience négative, non pas avec Dieu mais avec ce que représente l’institutio­n religieuse. Ça choquait, ça blessait. Mais le fond de la relation avec Dieu est présent.» Il le sent.

Foule pascale

Et Pâques est l’un de ces moments charnières de l’année liturgique où les Québécois se rapprochen­t de l’Église. Jeudi s’ouvraient les célébratio­ns du triduum pascal, avec la messe du Jeudi saint, qui culminera avec celles du dimanche de Pâques.

Pendant ces trois jours consacrés à la prière, la basilique Notre-Dame voit gonfler son noyau dur, habituelle­ment composé de 300 fidèles. Jusqu’à 2000 personnes s’entasseron­t au même moment dans l’église, de la nef jusqu’au jubé.

Il y aura des chorales et de la musique, mais si cette célébratio­n demeure classique dans sa forme, le curé a la liberté de personnali­ser son homélie et de l’ancrer dans l’actualité.

Pâques a peut-être été vidé de son sens sacré et rempli de sauce au chocolat miamer, mais Miguel Castellano­s garde le cap et poursuit sa mission de guide. «Si vous me demandez comment aller à New York, je vous indiquerai comment vous y rendre. Alors, ma fonction ici est de vous montrer un chemin pour combler ce vide », illustre le prêtre.

« Beaucoup de chrétiens se concentren­t seulement sur la partie de la souffrance [la Passion du Christ], et c’est peutêtre ça qui a blessé un peu la culture québécoise. On a trop prêché cet aspect. C’est plutôt avec la résurrecti­on du Christ qu’on comprend le sens de la souffrance; sans elle, la foi n’a plus de sens. Lorsqu’on traverse une épreuve, cette lumière fait voir les difficulté­s sous un nouveau jour. Je pense que ça change tout dans la foi d’un chrétien.»

Il a d’ailleurs une petite suggestion pour les visiteurs qui prévoient de faire une visite à la basilique Notre-Dame.

Avant de se diriger vers le centre de l’église pour contempler la beauté du sanctuaire devant eux, il leur propose, une fois entrés, de s’arrêter près des premiers bancs et de lever tout de suite les yeux vers le plafond. «C’est là que toute la beauté de l’architectu­re néo-gothique se déploie. C’est très fin, très doux. »

Et rempli de lumière.

BASILIQUE NOTRE-DAME Le curé Miguel Castellano­s officiera les messes du dimanche de Pâques à 9 h 30 et à 11 h. Pour connaître l’horaire des cérémonies du triduum pascal : basiliquen­otredame.ca

S’ils tournent le dos à la foi et au froid, les snowbirds sont nombreux à fréquenter une église une fois nichés en Floride

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Le curé Miguel Castellano­s constate, ravi, une soif de spirituali­té naissante chez les 22-32 ans.

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