Le « Moi, mes souliers » de Stanley Vollant
La salle bondée était gagnée d’avance à cette première montréalaise, mercredi soir. Des politiciens, mais aussi Max Gros Louis, l’ancien chef huron-wendat, Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, des autochtones, des sympathisants. Ça rentrait, ça sortait, ça applaudissait.
À l’Université Concordia était lancée en condensé la minisérie documentaire Stanley Vollant, de Compostelle à Kuujjuaq, de Simon C. Vaillancourt. Celle-ci sera diffusée à ICI RadioCanada Télé ce samedi et le suivant, avec reprises en juin.
Ceux qui ne connaissaient pas la marche de cet Innu de Pessamit, premier chirurgien autochtone du Québec, à travers les communautés du Québec et du Labrador pour aider les jeunes à relever la tête, ont découvert son profil inspirant à Tout le monde en parle dimanche dernier.
Ils ont lorgné le bâton de pèlerin de Stanley Vollant, légué par un quasi centenaire de sa communauté, chargé des 12 000 rêves recueillis en chemin. Ils ont entendu le récit de son enfance auprès d’un grand-père chasseur, reçu en pleine poire sa profession de foi: «La vie, c’est un choix difficile, mais c’est le meilleur choix.»
Ce message, il doit le marteler. Tant d’adolescents des Premières Nations se droguent et se tuent, nourris à la haine de soi, inoculée par une culture dominante, la nôtre. Ces jeunes réclament des modèles issus de leurs rangs pour s’affranchir des humiliations collectives. Il s’est levé.
Durant son enfance, Max Gros Louis, homme de prestance et de bagout, de passage à Pessamit, vint exhorter les jeunes Innus à croire en leur potentiel et à étudier. L’expérience marqua Stanley Vollant. Il affirme marcher sur ses pas, espère qu’un autre prendra sa relève. « Les graines que j’ai semées, il faut continuer à les arroser», nous dit-il.
C’est souvent sur un parcours raboteux que les êtres de sagesse se révèlent. Sa mère alcoolique gelait son enfer intérieur des années de pensionnat. La dépression et la tentative de suicide de Stanley Vollant, une vision lors de son pèlerinage à Compostelle, l’ont mené à prendre la route à pied, en canot et en raquettes, de la taïga à la toundra, en fondant Innu Meshkenu (traduisez : le chemin innu).
Cette marche cible une réconciliation des premiers peuples avec leur passé, leur environnement, leur spiritualité, pour mieux viser l’avenir.
Stanley Vollant ne marche pas seul. C’est la beauté de la chose. Des Innus, des Naskapis, des Inuits, des Blancs avancent à ses côtés. À l’écran, la route de Schefferville à Kuujjuaq se révèle une épreuve d’endurance, doublée d’un parcours initiatique qui aide des marcheurs à changer de vie.
Transformer le système de l’intérieur
Certains s’étonneront que le Québec n’ait pas enfanté de chirurgien autochtone avant Stanley Vollant, quand des programmes poussent les premiers peuples aux études. Sauf que l’école représente le monde des Blancs, avec des horaires, des concepts éloignés de leurs cultures.
Le souvenir des pensionnats qui blanchissaient les enfants des bois imprègne la mémoire collective, sur cohorte de sévices physiques, moraux et sexuels; des traumatismes répercutés sur plusieurs générations.
Par-delà le cliché des cabanes à tabac, des casinos et de la criminalité, les communautés autochtones sont multiples et divisées, plus écorchées qu’autre chose.
Difficile pour un jeune d’y pousser entre deux cultures; l’une fondée sur l’impérialisme et l’exclusion, l’autre sur des traces à moitié effacées.
Pas étonnant que le taux de décrochage soit immense. Stanley Vollant a du chemin à faire pour convaincre les générations montantes de prendre leur place dans une société qui les reconnaît si peu. Mais elles doivent transformer le système de l’intérieur pour y imposer leurs voix.
Ça change en douce. Les premiers peuples avancent vers nous, et nous vers eux. Il fallut la crise d’Oka pour rappeler au Québec leur existence. Tout un choc! Depuis, leurs chanteurs, leurs chamanes, leurs criminels, leurs femmes disparues, leurs héros, leurs artistes, leurs festivals (comme Présence autochtone) ont pénétré notre imaginaire et nos quotidiens. Un jour, il n’y aura plus de «nous» ni d’«eux», mais de fructueux partages, qui sait?
L’histoire des vainqueurs
Dans le Devoir de mercredi dernier, une lettre de la réalisatrice Carole Poliquin, appuyée de 13 autres signataires, s’élevait contre la méconnaissance de l’histoire et de la réalité des peuples autochtones par le Québécois moyen. Elle interpellait le gouvernement et le ministère de l’Éducation, réclamant des mesures venant refléter l’identité et valoriser la culture des Premières Nations.
«Depuis 2006, les cours d’histoire leur accordent une plus grande place. Hélas! Dans un réflexe bien colonial, on n’a pas jugé bon à l’époque de les consulter», déplore Carole Poliquin, dénonçant «notre ignorance systémique».
Des historiens autochtones restent sur le carreau. Toute une tradition orale tissée de mythes et de mémoire transmise ne demande qu’à enrichir les visions de la colonisation offertes à l’édification des élèves.
Tant de préjugés sont à guérir, de trous historiques à combler. Sous le régime français, les liens entre les Blancs et les premiers occupants furent étroits, rompus à la Conquête. Sans leurs alliés autochtones, les colons français n’auraient pas survécu aux rudesses du climat.
L’histoire est écrite par les vainqueurs. Si bien des Anglophones gomment l’importance du fait français dans leurs manuels et leurs séries télé historiques, les francophones leur emboîtent le pas pour effacer les empreintes de mocassins. Mais notre civilisation est aujourd’hui aux abois. Le matérialisme ambiant réclame des nourritures spirituelles, une vision élargie d’une terre trop désacralisée. «On a de belles histoires, une belle culture, une richesse à partager », lançait Stanley Vollant à la ronde mercredi, tendant son bâton pour qu’on y greffe aussi nos voeux.