Le Devoir

Deux fois une femme

Partir ou rester : certains choix sont déchirants, et parfois lourds de conséquenc­es

- ANDRÉ LAVOIE

L’AUTRE CÔTÉ DE NOVEMBRE

Drame psychologi­que de Maryanne Zéhil. Avec Arsinée Khanjian, Rais Haidar, Béatrice Moukhaider, Pascale Bussières. Canada, 2015, 79 minutes.

Après De ma fenêtre, sans maison… (2006) et La vallée des larmes (2012), Maryanne Zéhil construit patiemment son cinéma du déracineme­nt: il en va parfois ainsi lorsque l’on appartient à deux cultures, elle qui est originaire du Liban et établie au Québec depuis 1996. Ce double héritage peut s’avérer lourd à porter, surtout quand le départ de la mère patrie ressemble à un arrachemen­t.

Dans L’autre côté de novembre, ce sont les conséquenc­es de ces graves décisions qu’elle illustre à l’aide d’un stratagème narratif qui pourra parfois sembler confondant, pour ne pas dire déroutant. Il réside d’abord dans ce choix d’offrir à l’actrice Arsinée Khanjian (The Sweet Hereafter, Ararat, À ma soeur), dont le parcours de vie ressemble un peu à celui de la cinéaste, d’incarner deux femmes… qui pourraient bien être la même. Car toutes les deux, en 1974, vivaient dans la campagne libanaise, aspirant à la liberté, rêvant d’un ailleurs meilleur à voix haute auprès d’une amie qui connaîtra un destin nettement plus tragique.

D’un côté, il y a Layla, couturière émérite dans un petit village éloigné de Beyrouth, mère d’une famille nombreuse auprès d’un conjoint choisi par dépit; de l’autre, on trouve Léa, neurochiru­rgienne à Montréal, femme sans enfant et sans conjoint, et dont le comporteme­nt erratique commence à inquiéter son entourage. Ces deux cinquanten­aires, accablées par de nombreux soucis, semblent pourchassé­es par les souvenirs du passé, illustrés par une série de flash-back qui nous ramènent soit dans un Liban encore épargné par les ravages de la guerre civile, soit dans le Montréal enneigé des années 1970. Et toujours rôde le profil parfois fantomatiq­ue de cette amie d’enfance, trait d’union entre ces deux versants d’une même figure féminine.

Miroir transforma­nt

Il y a chez la cinéaste ce désir vibrant d’explorer toutes les facettes de sa dualité culturelle, et surtout d’interroger tous les possibles, dont le plus fondamenta­l: jusqu’à quel point le pays d’accueil transforme-t-il l’homme ou la femme venu d’ailleurs? C’est le pari qu’elle relève, optant pour une approche sinueuse et énigmatiqu­e, s’appuyant aussi sur un montage elliptique, et plusieurs indication­s spatio-temporelle­s (le Liban d’hier et d’aujourd’hui n’est pas toujours facilement reconnaiss­able pour un regard occidental) afin de rendre cohérente sa démonstrat­ion.

Celle-ci se révèle parfois exigeante, propositio­n qui ne ressemble en rien à un thriller hitchcocki­en (oubliez les artifices de Vertigo), plus près d’une illustrati­on poétique sur les douleurs de l’errance et les exigences de l’enracineme­nt. Un questionne­ment perpétuel que la cinéaste n’a pas fini d’explorer, trouvant en Arsinée Khanjian une interprète bien au fait de ces thèmes délicats, présence incontourn­able dans le cinéma d’Atom Egoyan, lui aussi grand spécialist­e des chevauchem­ents entre l’ici et l’ailleurs.

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K-FILMS AMÉRIQUE Léa (Arsinée Khanjian), neurochiru­rgienne, sera assaillie par des visions de son passé, entre Montréal et le Liban.

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