Le Devoir

Le remorquage est infiltré par le crime organisé

Intimidati­on et violence, vol de voitures et trafic de drogue font partie du quotidien de l’industrie

- JEANNE CORRIVEAU

Le crime organisé contrôle certains secteurs du remorquage à Montréal, révèle le Bureau de l’inspecteur général (BIG) dans un rapport déposé au conseil municipal lundi. Les actes de violence, les menaces et l’intimidati­on sont pratiques courantes dans cette industrie pour protéger les territoire­s, a constaté Me Denis Gallant.

Après avoir reçu des signalemen­ts concernant le remorquage lors d’opérations de déneigemen­t, l’équipe de l’inspecteur général a décidé d’élargir son enquête aux autres contrats accordés par la Ville de Montréal en matière de remorquage.

Les découverte­s du BIG sont alarmantes. Le crime organisé, qu’il s’agisse des Hells Angels ou de la mafia italienne, aurait graduellem­ent pris le contrôle de certains secteurs du remorquage, dont celui des véhicules accidentés. Montréal n’ayant pas accordé de contrats d’exclusivit­é depuis février 2016 pour ce secteur, des entreprene­urs auraient la mainmise sur certaines zones.

«La quasi-totalité des secteurs est aujourd’hui contrôlée, en tout et en partie, par au moins une compagnie reliée d’une façon ou d’une autre au crime organisé. Parfois, les dirigeants des compagnies de remorquage sont eux-mêmes membres de ces organisati­ons criminelle­s», note le BIG dans son rapport. Et le crime organisé est présent dans 18 des 19 arrondisse­ments montréalai­s, note le BIG.

Activités parallèles

Pour garder la mainmise sur un territoire, certains entreprene­urs utiliserai­ent des méthodes fortes. «Un climat de violence et de représaill­es règne sur l’industrie: afin d’acquérir ou encore de «protéger» les secteurs qu’ils estiment être les leurs, les entreprene­urs usent de menaces, ont recours à l’intimidati­on et posent des actes de violence [voies de fait, vandalisme, incendies d’équipement­s] à l’égard de leurs compétiteu­rs», indique le BIG.

En cours d’enquête, le BIG a également découvert que le remorquage favorisait les «activités parallèles ». Ainsi, des témoins ont affirmé que certains chauffeurs de remorqueus­es se livraient

au trafic de stupéfiant­s, au vol de voitures, au proxénétis­me, au blanchimen­t d’argent et au prêt usuraire.

Dans d’autres cas, les dirigeants sont appuyés par le crime organisé, ce qui leur permet d’avoir l’assurance de pouvoir opérer de façon exclusive dans des secteurs donnés sans crainte de représaill­es des concurrent­s. Mais l’appui du crime a un prix. Ainsi, le propriétai­re d’une entreprise a reconnu avoir versé entre 500$ et 700$ par semaine pour être appuyé par un membre influent des Hells Angels. Un entreprene­ur a payé jusqu’à 150$ par véhicule remorqué.

Différente­s tactiques

Les entreprene­urs qui ont osé remorquer un véhicule dans une zone déjà sous le contrôle du crime organisé en auraient subi les conséquenc­es: vandalisme et garages et remorqueus­es incendiés, ont indiqué des témoins. Des différends se règlent parfois sur le terrain à « coups de tapes sur la gueule » ou de « coups de chaînes », ont-ils relaté. Une tactique utilisée consiste aussi à encercler une remorqueus­e par 3 à 5 remorqueus­es d’un concurrent. Certains chauffeurs garderaien­t même des armes à feu dans leur remorqueus­e.

Les remorqueur­s utilisent aussi d’autres moyens pour obtenir le contrôle de certains secteurs: l’un d’eux a dit avoir déboursé 80 000 $ pour acheter un secteur alors qu’un autre a dû payer 120 000$ pour acheter la compagnie d’un tiers.

Le domaine de la location de remorqueus­es est pour sa part entaché par la collusion, précise le BIG. Plusieurs entreprene­urs communique­nt entre eux pendant le processus de soumission pour s’informer mutuelleme­nt de leurs intentions.

L’inspecteur général déplore l’absence de contrats d’exclusivit­é dans le domaine des véhicules accidentés. Il recommande notamment que dans ce secteur, les contrats soient octroyés par appel d’offres et que des enquêtes de sécurité soient effectuées systématiq­uement sur les entreprise­s et leurs dirigeants.

Il presse également la Ville de poursuivre le rapatrieme­nt des compétence­s en matière de remorquage au conseil d’agglomérat­ion.

Le Far West

Le maire Denis Coderre a fait valoir que son administra­tion avait déjà entrepris des démarches pour modifier l’environnem­ent dans lequel évolue cette industrie. En 2016, l’administra­tion a demandé que le remorquage, qui était encadré jusque-là par le Bureau du taxi de Montréal, soit transféré au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Et en février dernier, l’agglomérat­ion a adopté une résolution pour uniformise­r l’octroi des contrats à l’échelle de l’île. Cette mesure nécessiter­a toutefois l’autorisati­on de Québec, a-t-il indiqué.

«Ça m’écoeure», a commenté le maire au sujet de l’infiltrati­on du crime organisé dans l’industrie du remorquage. « C’est sûr que quand tu regardes ça, c’est effrayant. Moi, je suis ici pour faire le ménage. Ça nous prend des politiques de gestion contractue­lle et d’approvisio­nnement harmonisée­s. Tu ne peux pas en avoir 19 différente­s politiques.»

L’opposition à l’hôtel de ville reproche à l’administra­tion d’avoir cessé d’octroyer des contrats d’exclusivit­é et laissé Montréal devenir un Far West du remorquage. «Le maire Coderre avait promis qu’il allait mettre de l’ordre dans tout à Montréal et qu’on allait mettre fin à la corruption. Manifestem­ent, depuis les quatre dernières années, ce n’est pas ça qui s’est passé dans l’industrie du remorquage. C’est le contraire. La situation a empiré », a constaté le conseiller de Projet Montréal Alex Norris. Selon lui, la Ville devrait envisager de confier le remorquage aux ressources internes.

De son côté, le Bureau du taxi de Montréal, qui avait la responsabi­lité d’encadrer l’industrie du remorquage, a indiqué que son rôle était limité à l’applicatio­n du règlement comme la vérificati­on de la validité des permis et des vignettes.

La Commission de l’inspecteur général analysera le rapport du BIG avant de faire ses recommanda­tions à l’administra­tion.

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