Le maillon manquant
Le gouvernement Trudeau a raison de vouloir légaliser la marijuana, mais il fait erreur sur un point important: l’absence de mesures de transition pour éliminer immédiatement la criminalisation de la possession simple de cannabis.
Le ministre fédéral de la Sécurité publique, Ralph Goodale, est catégorique. Dans le cadre de sa politique de légalisation de la marijuana, le gouvernement libéral n’envisage pas une amnistie générale pour les gens déjà reconnus coupables de possession simple, a-t-il dit à La Presse canadienne. Selon les dernières données disponibles, près de 25 000 Canadiens ont été condamnés et ont hérité d’un casier judiciaire pour cette infraction. Ils pourront demander une «suspension de casier judiciaire » (auparavant appelée « pardon ») cinq ans après avoir purgé leur peine, mais est-ce vraiment nécessaire de perpétuer ce dédale inutile et coûteux ?
On comprend que le gouvernement hésite à parler d’amnistie. Il ne veut pas que les consommateurs croient avoir le champ libre en attendant l’entrée en vigueur du projet de loi C-45 sur la légalisation de la marijuana. Comme aime le répéter le ministre, tant que la légalisation n’est pas un fait accompli, les lois existantes continuent de s’appliquer. Cette mise au point est importante, mais elle ne justifie pas qu’entre-temps, des Canadiens continuent de se voir accoler un dossier criminel pour une infraction qui n’existera plus dans un peu plus d’un an. Un régime transitoire peut et doit être mis en place. En fait, certaines dispositions du projet de loi pourraient même être modifiées et présentées séparément pour être rapidement mises en oeuvre. La criminalisation peut avoir des retombées tout au long d’une vie.
Comme l’a déjà reconnu à La Presse canadienne l’ancien chef de police de Toronto et aujourd’hui secrétaire parlementaire chargé du dossier de la légalisation du cannabis, Bill Blair, il y a de «bien meilleurs moyens» de gérer ces infractions. Il existe des solutions plus faciles, moins onéreuses, avec des résultats plus probants, en particulier auprès des adolescents, comme le recours à des constats d’infraction.
Le projet de loi C-45 envisage déjà, pour les adultes ayant en leur possession jusqu’à 20 grammes de plus que la limite permise (30 grammes) ou jusqu’à deux plans de plus que permis (quatre), un système de contraventions. Ce dernier est toutefois alambiqué et comporte un gros défaut. Toute reconnaissance de culpabilité, y compris le paiement d’une contravention, sera assortie de l’attribution d’un dossier criminel. On se demande à quelles fins, puisque ce dossier devra être «classé à part des autres dossiers judiciaires» et ne pourra pas être utilisé de manière à révéler que la personne a fait face à des mesures prises en vertu de cette loi.
Des constats d’infraction ou un système de contraventions — dépourvu cependant de casier judiciaire, faut-il préciser — pourraient être envisagés dès maintenant pour les adultes ayant en leur possession ou partageant 30 grammes ou moins de marijuana, la limite prévue par le projet de loi. L’avantage d’une telle approche serait d’éliminer un des effets négatifs de la prohibition, à savoir l’entrave que demeure un casier judiciaire.
Un tel système permettrait aussi d’atténuer la pression sur un système judiciaire aux prises avec des délais inacceptables et de répondre à une demande des chefs de police, qui préféreraient voir les forces de l’ordre se concentrer sur des tâches plus urgentes, dont celle de contrer d’éventuelles tentatives du crime organisé d’investir le marché légal. En persistant dans son refus, le gouvernement Trudeau fait preuve d’incohérence. Il perpétue l’un des impacts négatifs de la criminalisation, qu’il a lui-même invoqué à maintes reprises pour justifier sa réforme.