Le Devoir

Hépatite C : contrer la peur de l’autre en soi

- JEAN ROBERT Médecin de rue, spécialist­e en microbiolo­gie, infectiolo­gie et en médecine communauta­ire, Clinique Santé Amitié, Saint-Jérôme

Quand en 1976, à l’hôpital Saint-Luc, j’ai reçu en consultati­on mon premier patient «taupin», ex-détenu et consommate­ur de drogues, il m’a demandé d’un coup pourquoi j’avais peur de lui? J’eus beau lui rétorquer: non, pas du tout, il m’a fixé et dit avec insistance qu’il ne me croyait pas, parce que ces choses-là, ça se sent.

Il a repris avec une pointe de sarcasme : on ne vous a pas appris à ne pas mentir, dans votre université? Je n’ai sûrement pas apprécié sur-le-champ, pas apprécié, mais appris, sûrement un petit peu, dans l’humilité sinon l’humiliatio­n.

En revanche, j’ai par la suite, avec une certaine audace, moi-même demandé à d’autres taupins s’ils ressentaie­nt que j’avais peur d’eux. Jusqu’à me faire dire pas trop, puis encore un peu, presque pas, enfin pas du tout, on est entre humains. Il m’a fallu plusieurs mois, sinon quelques années, pour raisonner ma peur, l’apprivoise­r puis presque l’oublier sans négliger pour autant les règles élémentair­es de prudence.

Le sida et le VIH arrivent au Québec en 1979-1980 et frappent de plein fouet une communauté visible, celle des Haïtiens. La peur s’installe, se camoufle en préjugé, se dissimule derrière des «principes» genre j’évite les chauffeurs de taxi de cette origine. Quand j’entends, encore en 2017, «moi, les junkies, je ne les traite pas tant qu’ils n’arrêtent pas de consommer», ça sent le principe camoufleur de la peur. Voilà le principal obstacle pour l’accès aux soins de la personne infectée de l’hépatite C, sa guérison et la moindre transmissi­on du virus épidémique, le seul ennemi véritable, pas l’humain porteur.

La médecine communauta­ire créée au début des années 1970 et ses valeurs humanistes furent à la base des Centres locaux de services communauta­ires (CLSC) et des départemen­ts hospitalie­rs de santé communauta­ire (DSC). Ces valeurs se sont évanouies avec le temps et la bureaucrat­isation de la pensée. Sauf pour l’irréductib­le Gaulois.

Mon ministre de la Santé, très occupé, méconnaît probableme­nt les efforts et succès des organismes communauta­ires malgré les obstacles. Ici, à la Clinique Santé Amitié, un des programmes du Centre Sida Amitié, nous détenons un très officiel mandat de la Santé publique régionale depuis janvier 1995 jusqu’à ce jour. Nous ne fonctionno­ns pas en parallèle du système, mais en complément­arité interprofe­ssionnelle pour accueillir les malmenés de la rue qui se sont fait décrocher de la structure et souvent laissés sans carte RAMQ.

Nous éduquons, au ras des pâquerette­s, par notre vécu quotidien fait surtout et avant tout de la qualité de notre accueil; nos patients attachants et attachés nous le rendent bien. Depuis 2003, ils guérissent de l’hépatite C !

À quand votre visite et votre appui, Monsieur le Ministre, car c’est aussi votre réussite par l’entremise de notre mandat régional du CISSS, depuis 1995, dans l’immense région des Laurentide­s, mandat inspiré de 1976 à Saint-Luc.

Le 28 avril se tiendra la Journée québécoise de l’hépatite C.

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