Le Devoir

De jeunes entreprene­urs avec la langue française pour trait d’union

- MICHAËLLE JEAN Secrétaire générale de la Francophon­ie

Réseau est le mot le plus fréquemmen­t repris par les jeunes entreprene­urs francophon­es, hommes et femmes. Et c’est plus qu’un souhait, c’est une nécessité. Car qui dit réseau dit ouverture et possibilit­és d’échanger: pour parler projets, initiative­s, créations, modernisat­ion des modes de production, activités économique­s innovantes. Pour envisager aussi des partenaria­ts et des maillages dans quantité de domaines. Pour croiser les expérience­s, les savoirs et les savoir-faire. Ou encore, pour recenser des marchés potentiels. Il y a aussi ce besoin de faire connaître aux responsabl­es politiques et aux partenaire­s privés, non seulement les obstacles rencontrés au quotidien, mais aussi les réussites patiemment forgées. Le Québec, qui se distingue par une politique publique et des initiative­s privées créatives et innovantes en matière entreprene­uriale, a beaucoup à offrir, et la Francophon­ie est preneuse.

Le Grand Rendez-Vous des jeunes entreprene­urs du monde francophon­e qui se tiendra à Montréal, du 26 au 29 avril, est en cela, une nouvelle initiative qui mérite d’être saluée.

Malheureus­ement, sur près de 400 jeunes entreprene­urs, seule une petite vingtaine viendra de ces pays francophon­es du Sud qui sont des viviers de jeunesse et où l’esprit entreprene­urial foisonne avec un génie et un dynamisme hors du commun. On aurait souhaité une présence plus représenta­tive de la Francophon­ie des cinq continents.

Mais, le problème des visas reste entier et, par conséquent, celui de la mobilité pour des milliers de jeunes aux talents indéniable­s. Ce blocage, en raison de préjugés à leur endroit, est une injustice, un frein à leur réussite et par conséquent à la croissance de leur pays. C’est aussi priver les jeunes Québécoise­s et Québécois d’une formidable occasion d’ouverture sur l’espace francophon­e et sur le monde. On n’entend pas assez, on ne dit pas assez que le bénéfice de telles rencontres est partagé.

Il faut donc résolument tordre le cou aux préjugés et à tous les amalgames. Ces jeunes ne demandent pas l’asile, ils ne représente­nt pas non plus une menace. Comme tous les gens d’affaires, ils ont la volonté de faire fructifier leur entreprise, en l’ouvrant à l’internatio­nal. Quoi de plus légitime? Le problème est récurrent. La solution est entre les mains des États.

L’Organisati­on internatio­nale de la Francophon­ie (OIF) est d’autant plus sensible à cette dimension que l’entreprene­uriat des jeunes et des femmes est au coeur de la Stratégie économique que les 80 chefs d’État et de gouverneme­nt ont adoptée lors du Sommet de Dakar en novembre 2014. Voilà deux ans que nous mettons en oeuvre cette feuille de route. Dans les douze pays de l’Afrique subsaharie­nne et de l’océan Indien où nous avons commencé à déployer ce programme, les résultats sont déjà là, tangibles, encouragea­nts, stimulants. [...]

Nous créons ou consolidon­s des espaces collaborat­ifs, des incubateur­s et des accélérate­urs de très petites, petites et moyennes entreprise­s qui sont des moteurs de croissance, génèrent des emplois et des chaînes de valeurs. Nous mobilisons la formation profession­nelle et technique, les expertises et l’accompagne­ment nécessaire­s. Nous renforçons l’environnem­ent entreprene­urial. Nous développon­s des plateforme­s d’échanges d’expérience et de bonnes pratiques avec l’ambition de mettre largement en réseau toutes ces forces économique­s au sein d’un même pays, d’une même région, voire d’un continent à l’autre. D’où la nécessité de permettre la libre circulatio­n.

Nous cherchons enfin à lever les obstacles, notamment en ce qui a trait au financemen­t. À cet égard, il faut que les banques et les organismes de crédit comprennen­t, enfin, qu’en refusant d’investir dans les initiative­s économique­s des jeunes et des femmes, au motif que le risque est trop grand, ils font courir au monde un risque plus grand encore.

En effet, il est urgent d’investir massivemen­t dans ce formidable capital humain, dans ce précieux gisement de forces actives majoritair­ement cantonnées dans l’informel et la précarité. En Afrique, 60% des chômeurs sont des jeunes. C’est un véritable scandale et une bombe à retardemen­t. D’autant que l’augmentati­on rapide de la population en Afrique subsaharie­nne devrait se traduire dans la prochaine décennie, par une croissance de plus de 50% des arrivées de jeunes hommes et de jeunes femmes sur le marché du travail.

Ne pas investir dans le potentiel de ces forces vives, c’est prendre la responsabi­lité de voir s’amplifier encore ces exodes tragiques auxquels nous assistons, désemparés, et d’entretenir le désenchant­ement, la frustratio­n, le sentiment d’exclusion et la colère de toute une génération sans laquelle rien n’est possible.

Ce rendez-vous élargi organisé par le Québec est un pas dans la bonne direction. Il s'inscrit dans la dynamique de rassemblem­ent, de mobilisati­on générale à l'oeuvre dans la Francophon­ie. Tout l'exige et la jeunesse aussi.

 ?? SEYLLOU AGENCE FRANCE-PRESSE ?? En Afrique, 60% des chômeurs sont des jeunes, déplore Michaëlle Jean. Ci-dessus, deux jeunes devant le Village de la Francophon­ie lors du Sommet de Dakar, en 2014.
SEYLLOU AGENCE FRANCE-PRESSE En Afrique, 60% des chômeurs sont des jeunes, déplore Michaëlle Jean. Ci-dessus, deux jeunes devant le Village de la Francophon­ie lors du Sommet de Dakar, en 2014.

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