Le Devoir

De quoi Facebook est-il responsabl­e ?

PIERRE TRUDEL

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Un illuminé peut diffuser en ligne une vidéo en direct d’un crime qu’il est en train de commettre. Un seul individu doté d’un téléphone dit «intelligen­t» dispose désormais d’une capacité de diffusion autrefois réservée aux grands médias de masse. Voilà la puissance que les réseaux sociaux procurent à toute personne dotée d’un appareil raccordé à Internet. Comment envisager la régulation de ces attributs désormais conférés à tout possesseur d’un appareil portable? Est-ce qu’il y a une entité responsabl­e de prévenir, en temps utile, la mise en ligne d’images de véritables viols ou de meurtres en direct ?

Les réseaux sociaux sont désormais les portiers d’Internet. En utilisant les plateforme­s Facebook, Google ou YouTube, les usagers peuvent partager des contenus en ligne. Mais dans quelle mesure ces plateforme­s sont-elles responsabl­es des images dégradante­s, de la revenge porn que certains s’avisent d’y afficher, des messages de harcèlemen­t, des textes haineux ou des fausses nouvelles que certains usagers y répandent?

Sur le plan de leur responsabi­lité au regard des lois, la principale caractéris­tique de ces plateforme­s de réseaux sociaux, c’est qu’elles ne tiennent pas un rôle actif dans les décisions éditoriale­s que les internaute­s y accompliss­ent. Par exemple, Facebook procure un espace pour y déposer des images ou des commentair­es, il n’édite pas lui-même ces contenus. La décision de partager des contenus et la responsabi­lité qui vient avec est celle des usagers.

Une grande immunité

C’est d’ailleurs afin de favoriser la liberté d’expression incarnée par cette capacité des usagers à diffuser ce qu’ils décident de porter à la connaissan­ce du public ou de leurs contacts que les lois de plusieurs pays ont posé qu’en principe les plateforme­s ne sont pas responsabl­es des contenus mis en ligne par les usagers. Aux ÉtatsUnis, on est allé plus loin en leur conférant une très large immunité à l’égard des contenus émanant du public. Malgré plusieurs protestati­ons contre cette immunité accordée aux plateforme­s, les juges américains refusent de les tenir responsabl­es des contenus mis en ligne par un usager.

Sans cette importante protection découlant de la législatio­n américaine, des environnem­ents comme Facebook ou YouTube ne se seraient probableme­nt pas développés. Si ces plateforme­s étaient a priori responsabl­es de tout ce qui apparaît sur leur site, elles auraient vite fait de filtrer au préalable tout contenu qu’un internaute se propose de mettre en ligne et qu’elles estiment «risqué».

Une approche un peu moins protectric­e pour les plateforme­s comme les réseaux sociaux a été retenue en Europe et au Québec. Dans ces juridictio­ns, elles peuvent être tenues responsabl­es du matériel mis en ligne par autrui sur leurs sites, mais uniquement si elles ont connaissan­ce du caractère illicite du propos.

Au Québec, l’article 27 de la Loi concernant le cadre juridique des technologi­es de l’informatio­n édicte que les intermédia­ires qui hébergent des contenus provenant de tiers, tels les réseaux sociaux, ne sont pas obligés de surveiller ce qui se passe sur leurs environnem­ents. Ce n’est que lorsqu’ils ont connaissan­ce du caractère illicite d’un contenu qui s’y trouve qu’ils peuvent en être tenus responsabl­es.

Mais des voix s’élèvent pour que les plateforme­s intermédia­ires sur Internet assument plus de responsabi­lités quant aux contenus. On réclame que les réseaux sociaux surveillen­t proactivem­ent les messages haineux, les images intimes publiées dans un but de vengeance et bien sûr les vidéos diffusées en direct.

Des méga censeurs?

Évidemment, rien n’empêche les Facebook de ce monde de mettre en place des mesures plus efficaces afin de repérer et de purger les contenus qui posent problème. Mais à cet égard, il n’y a pas toujours matière à nous rassurer! On se souvient de la censure par Facebook des sites sur l’allaitemen­t maternel ou du tableau L’origine du monde, de Gustave Courbet. Nous sommes ici dans le domaine des significat­ions des mots et des images. Évaluer des masses considérab­les de contenus est difficile à envisager sans une certaine automatisa­tion. Or, automatise­r l’évaluation du sens des mots et des images pose de redoutable­s défis!

Mais avant de faire des lois pour accroître la responsabi­lité des plateforme­s, il faudra se souvenir que, si elles sont responsabl­es des propos mis en ligne par les internaute­s, il est prévisible qu’elles vont jouer de prudence. Pour limiter le caractère risqué de leurs activités, il est probable qu’elles décideront de surveiller et de censurer plus intensémen­t les informatio­ns que s’échangent les internaute­s. Après avoir toléré des politiques publiques leur permettant d’accaparer la part du lion des revenus publicitai­res, est-ce qu’on va accepter de transforme­r ces méga-plateforme­s en méga censeurs ?

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