le manque de financement au CALQ dénoncé
Le ministre Luc Fortin estime que le Conseil des arts et des lettres du Québec est une priorité
Alors que, sur la place d’Armes à Montréal, ils étaient quelque 500 travailleurs culturels de tous horizons rassemblés pour dénoncer le manque de financement au Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), le ministre Luc Fortin déclarait lors de l’étude des crédits à Québec que l’organisme subventionnaire serait sa priorité, tout en laissant tomber que la future politique culturelle du gouvernement ne serait dotée de budget qu’en 2018.
Les manifestants, à l’invitation du Mouvement pour les arts et des Lettres (MAL) et du Conseil québécois du théâtre (CQT), ont souligné «l’insoutenable état d’urgence» dans lequel vivent les artistes, et ont réclamé une injection d’argent au CALQ, afin que son budget de 89 millions de dollars — 109 millions selon les chiffres de Québec — soit majoré à 135 millions. Il était suggéré au gouvernement de puiser dans sa réserve de crédits, aussi appelée Fonds de suppléance.
Le ministre de la Culture et des Communications a été questionné par l’opposition lundi lors de l’analyse plus détaillée du volet culturel du dernier budget Leitão. La péquiste Agnès Maltais a ainsi relayé les demandes des manifestants à M. Fortin, qui a soufflé le chaud et le froid.
D’une part, le ministre a souligné que le CALQ « était une priorité» pour lui, refusant toutefois d’aller puiser dans le Fonds de suppléance. M. Fortin a toutefois affirmé qu’il allait «s’assurer de bien dépenser les marges de manoeuvre que nous avons au sein de notre ministère », issues de dépenses devancées au cours de l’exercice financier précédent. « J’entends les demandes du CALQ, j’en suis totalement conscient. »
L’année 2017 est une importante pour le CALQ, qui s’apprête en juillet à fixer les subventions au fonctionnement des organismes culturels pour les quatre prochaines années.
La députée Agnès Maltais a souligné au ministre Fortin que ces décisions financières majeures se prendront en l’absence de la nouvelle politique culturelle du Québec, attendue à l’automne. Le ministre Fortin a d’ailleurs expliqué que le « plan d’action et les budgets pour l’appuyer» n’arriveraient d’ailleurs qu’en 2018.
«S’il y a un décalage entre l’évaluation et la nouvelle politique, ça n’empêche pas que les budgets puissent être bonifiés dès l’année prochaine. […] Il y aura tout simplement plus d’argent pour les projets soutenus. »
L’attaché de presse du ministre de la Culture et des Communications, Karl Fillion, a par ailleurs expliqué au Devoir que le MAL avait récemment fait ses doléances au ministère, sans toutefois avoir déposé de «demande officielle». «On ne pourra pas investir rapidement s’il n’y a pas de demande officielle et formelle », a dit M. Fillion.
Des artistes en colère
Sur la place d’Armes, vers midi, la musique résonnait pendant que plusieurs danseurs, musiciens, acteurs, techniciens et autres travailleurs culturels brandissaient des pancartes rouge et jaune « État d’urgence », sous le slogan « des huards pour les arts», transformé par un participant par «des milliards pour les arts».
«Les conditions socio-économiques des travailleurs culturels sont vraiment déplorables, a expliqué au Devoir Fabienne Cabado, porte-parole du MAL et directrice générale du Regroupement québécois de la danse. Les diverses disciplines artistiques ont du mal à se développer, on n’a pas d’argent pour faire de la recherche, pour produire des oeuvres. En danse, par exemple, on ne peut plus produire de grandes formes sur scène. »
Selon la porte-parole du MAL, l’argent existe, «il suffit d’une volonté politique pour que la situation soit redressée».
Sur la petite scène érigée sur la place montréalaise, l’encore plus petite comédienne Sophie Cadieux est arrivée devant un micro un peu trop haut pour elle. «Je vais me mettre sur la pointe des pieds, a-t-elle lancé en refusant l’aide qu’on lui offrait. J’aime ça, ça crée un déséquilibre dans lequel nous les artistes on est habitués à vivre.»
«L’écologie des milieux artistiques est sous tension, a ajouté Sophie Cadieux, plus sérieuse. On nous demande de faire plus avec moins, et on commence à avoir le dos assez large.» L’actrice prolifique a souligné le fait qu’on lance des fleurs aux productions québécoises qui percent à l’étranger pendant que plusieurs projets ne voient pas le jour ici faute de financement.
Croisé dans la foule, Denis Bernard, directeur artistique et général du théâtre La Licorne, a rebondi sur les propos de Sophie Cadieux. «L’art et la culture au Québec, ce n’est pas juste ce qui gravite dans le monde, c’est surtout ce qui se fait en ville ici. Et là, il ne se passe rien d’autre que ce qu’on réussit à faire à l’huile de bras, en se saignant littéralement, et c’est pas une image que je fais, c’est vrai en criss, on est à boutte, on n’a plus d’argent. »
Par ailleurs, il s’est dit un peu mal à l’aise devant les slogans du rassemblement, que ce soit pour des «huards» ou des «milliards». «De l’argent, oui, mais je veux juste qu’on reconnaisse le travail qu’on fait. Je veux des politiciens qui défendent des principes, des idées, une culture. Qu’ils donnent un coup de pouce au CALQ, ils vont voir que ça va faire un changement énorme.»
Plus loin dans la foule, Denys Lefebvre, président de l’Association québécoise des marionnettistes, avait troqué sa pancarte pour un pantin tenant une petite affiche disant: « Faut pas nous prendre pour des guignols». «Au Québec, la marionnette est en pleine effervescence, on est une plaque tournante dans le monde. Mais en ce moment, on tue dans l’oeuf la création.»