Le Devoir

À l’UPAC d’agir

L’UPAC prend bien son temps dans l’enquête sur le financemen­t illégal du PLQ. À quand les résultats?

- BRIAN MYLES

C’est l’enquête sur la corruption politique la plus audacieuse de l’histoire du Québec. Elle ne pourrait viser plus haut dans les échelons du pouvoir. L’ex-premier ministre Jean Charest, son fidèle organisate­ur politique, Marc Bibeau, et l’ex-responsabl­e du financemen­t au Parti libéral du Québec (PLQ) Violette Trépanier feraient partie de la trentaine de cibles des enquêteurs de l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC). Les informatio­ns rendues publiques par Le Journal de Montréal et TVA rappellent à quel point la marque libérale est entachée par les allégation­s de corruption et de financemen­t illégal. En riposte, le premier ministre, Philippe Couillard, a mis les partis d’opposition au défi de trouver l’ombre du début d’un scandale depuis qu’il dirige le Québec. Bel effort de diversion. Les fantômes du passé ne disparaîtr­ont pas parce que le premier ministre refuse de les affronter.

Les documents de l’UPAC coulés dans les médias recoupent des enquêtes journalist­iques et des témoignage­s entendus à la commission Charbonnea­u, selon lesquels Marc Bibeau aurait exercé une influence dans les nomination­s ministérie­lles sous le régime de Jean Charest.

Les libéraux pourraient procéder à un examen tout simple, sans nuire à l’enquête policière, afin de vérifier ces allégation­s. Outre M. Couillard, dix ministres toujours en fonction faisaient partie de ce cercle restreint sous Jean Charest. Doivent-ils leur ascension à la main invisible de M. Bibeau? Le cas échéant, méritentil­s encore leur limousine? Malgré l’insistance de M. Couillard à établir une séparation très nette entre le passé et le présent au sein du PLQ, il n’en demeure pas moins qu’un subtil trait d’union subsiste entre les deux époques. L’ancienne garde reste encore associée au renouveau libéral.

Les révélation­s qui déboulent en cascade depuis quelques jours nourrissen­t un scepticism­e qui ne cesse de grandir depuis la fin des travaux de la commission Charbonnea­u. Afin de ne pas nuire aux enquêtes de l’UPAC, la commission Charbonnea­u a fait le strict minimum dans son enquête sur le financemen­t illégal du PLQ, donnant à son rapport les allures d’un chantier inachevé.

Maintenant que les travaux de la Commission et les espoirs qu’elle avait suscités ne sont plus qu’un souvenir distant, l’UPAC s’apprêterai­t-elle à clore son enquête sans résultats ?

Officielle­ment, l’enquête Mâchurer est toujours active. L’UPAC n’a toujours rien transmis au Directeur des poursuites criminelle­s et pénales (DPCP). Les Charest, Bibeau, Trépanier ne sont accusés d’aucun crime, bien qu’ils soient déjà condamnés à l’opprobre populaire. Ils paient le prix de leur réputation.

Les fuites sont aussi dommageabl­es pour la réputation de l’UPAC, qui ne trouve rien de plus utile à faire que de déclencher une enquête interne afin de trouver le responsabl­e de la divulgatio­n d’informatio­ns. L’UPAC ferait mieux de consacrer son énergie à faire avancer le seul dossier qui compte: l’enquête Mâchurer. Le commissair­e à la lutte contre la corruption, Robert Lafrenière, a pour ainsi dire une obligation de résultat.

Depuis que l’UPAC s’intéresse à la strate supérieure du Québec inc., soit les firmes de génie-conseil, les organisate­urs politiques et les élus qui auraient participé au financemen­t illégal du PLQ, M. Lafrenière a répété à maintes occasions que personne n’était au-dessus des lois.

À l’inverse, les partis d’opposition, le chef péquiste Jean-François Lisée en tête, suggèrent qu’une «immunité libérale» dans le système judiciaire freine la conclusion de l’enquête.

L’arrestatio­n de l’ex-vice-première ministre Nathalie Normandeau, pour complot, fraude, corruption et abus de confiance, ébranle les fondements de son hypothèse. Certes, personne n’est assez dupe pour croire que Nathalie Normandeau aurait ourdi les stratagème­s de financemen­t du PLQ. Elle n’était qu’un rouage d’une mécanique bien huilée.

M. Lisée n’est pas le premier à soulever cette question de l’impunité. Un lieutenant de la SQ, Patrick Duclos, a déjà évoqué l’existence d’une «immunité diplomatiq­ue» pour les élus visés par l’enquête Diligence, menée en 2009, dans une déclaratio­n assermenté­e non prouvée en cour. L’affaire a été démentie vigoureuse­ment par le gouverneme­nt Couillard et la SQ.

Ces allégation­s minent la confiance du public à l’égard de la police et de la justice. La méfiance n’ira pas en s’atténuant si l’UPAC prolonge indéfinime­nt son enquête aux conclusion­s incertaine­s. Compte tenu des attentes élevées de la population en matière d’éthique publique et des dommages collatérau­x provoqués par les fuites, l’UPAC doit accélérer le pas. L’enquête Mâchurer a suscité trop d’attentes et d’interrogat­ions pour que M. Lafrenière soit exempté d’une déclaratio­n publique. Nous sommes en droit de savoir, dans un avenir pas trop lointain, si le dossier finira sur une tablette ou dans les mains du DPCP.

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