À l’UPAC d’agir
L’UPAC prend bien son temps dans l’enquête sur le financement illégal du PLQ. À quand les résultats?
C’est l’enquête sur la corruption politique la plus audacieuse de l’histoire du Québec. Elle ne pourrait viser plus haut dans les échelons du pouvoir. L’ex-premier ministre Jean Charest, son fidèle organisateur politique, Marc Bibeau, et l’ex-responsable du financement au Parti libéral du Québec (PLQ) Violette Trépanier feraient partie de la trentaine de cibles des enquêteurs de l’Unité permanente anticorruption (UPAC). Les informations rendues publiques par Le Journal de Montréal et TVA rappellent à quel point la marque libérale est entachée par les allégations de corruption et de financement illégal. En riposte, le premier ministre, Philippe Couillard, a mis les partis d’opposition au défi de trouver l’ombre du début d’un scandale depuis qu’il dirige le Québec. Bel effort de diversion. Les fantômes du passé ne disparaîtront pas parce que le premier ministre refuse de les affronter.
Les documents de l’UPAC coulés dans les médias recoupent des enquêtes journalistiques et des témoignages entendus à la commission Charbonneau, selon lesquels Marc Bibeau aurait exercé une influence dans les nominations ministérielles sous le régime de Jean Charest.
Les libéraux pourraient procéder à un examen tout simple, sans nuire à l’enquête policière, afin de vérifier ces allégations. Outre M. Couillard, dix ministres toujours en fonction faisaient partie de ce cercle restreint sous Jean Charest. Doivent-ils leur ascension à la main invisible de M. Bibeau? Le cas échéant, méritentils encore leur limousine? Malgré l’insistance de M. Couillard à établir une séparation très nette entre le passé et le présent au sein du PLQ, il n’en demeure pas moins qu’un subtil trait d’union subsiste entre les deux époques. L’ancienne garde reste encore associée au renouveau libéral.
Les révélations qui déboulent en cascade depuis quelques jours nourrissent un scepticisme qui ne cesse de grandir depuis la fin des travaux de la commission Charbonneau. Afin de ne pas nuire aux enquêtes de l’UPAC, la commission Charbonneau a fait le strict minimum dans son enquête sur le financement illégal du PLQ, donnant à son rapport les allures d’un chantier inachevé.
Maintenant que les travaux de la Commission et les espoirs qu’elle avait suscités ne sont plus qu’un souvenir distant, l’UPAC s’apprêterait-elle à clore son enquête sans résultats ?
Officiellement, l’enquête Mâchurer est toujours active. L’UPAC n’a toujours rien transmis au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Les Charest, Bibeau, Trépanier ne sont accusés d’aucun crime, bien qu’ils soient déjà condamnés à l’opprobre populaire. Ils paient le prix de leur réputation.
Les fuites sont aussi dommageables pour la réputation de l’UPAC, qui ne trouve rien de plus utile à faire que de déclencher une enquête interne afin de trouver le responsable de la divulgation d’informations. L’UPAC ferait mieux de consacrer son énergie à faire avancer le seul dossier qui compte: l’enquête Mâchurer. Le commissaire à la lutte contre la corruption, Robert Lafrenière, a pour ainsi dire une obligation de résultat.
Depuis que l’UPAC s’intéresse à la strate supérieure du Québec inc., soit les firmes de génie-conseil, les organisateurs politiques et les élus qui auraient participé au financement illégal du PLQ, M. Lafrenière a répété à maintes occasions que personne n’était au-dessus des lois.
À l’inverse, les partis d’opposition, le chef péquiste Jean-François Lisée en tête, suggèrent qu’une «immunité libérale» dans le système judiciaire freine la conclusion de l’enquête.
L’arrestation de l’ex-vice-première ministre Nathalie Normandeau, pour complot, fraude, corruption et abus de confiance, ébranle les fondements de son hypothèse. Certes, personne n’est assez dupe pour croire que Nathalie Normandeau aurait ourdi les stratagèmes de financement du PLQ. Elle n’était qu’un rouage d’une mécanique bien huilée.
M. Lisée n’est pas le premier à soulever cette question de l’impunité. Un lieutenant de la SQ, Patrick Duclos, a déjà évoqué l’existence d’une «immunité diplomatique» pour les élus visés par l’enquête Diligence, menée en 2009, dans une déclaration assermentée non prouvée en cour. L’affaire a été démentie vigoureusement par le gouvernement Couillard et la SQ.
Ces allégations minent la confiance du public à l’égard de la police et de la justice. La méfiance n’ira pas en s’atténuant si l’UPAC prolonge indéfiniment son enquête aux conclusions incertaines. Compte tenu des attentes élevées de la population en matière d’éthique publique et des dommages collatéraux provoqués par les fuites, l’UPAC doit accélérer le pas. L’enquête Mâchurer a suscité trop d’attentes et d’interrogations pour que M. Lafrenière soit exempté d’une déclaration publique. Nous sommes en droit de savoir, dans un avenir pas trop lointain, si le dossier finira sur une tablette ou dans les mains du DPCP.