Monde : dans le dossier nord-coréen, Trump s’«obamise»
«Parlez doucement, mais portez un gros bâton», disait le président américain Theodore Roosevelt il y a plus d’un siècle. En d’autres mots: négociez calmement, mais toujours avec la menace d’une action musclée. Une approche qui ne semble pas avoir inspiré Donald Trump sur la Corée du Nord — comme en bien d’autres choses —, qu’il a menacée à maintes reprises de subir les foudres de l’armada américaine. Mais les récentes déclarations qui émanent de son gouvernement indiquent que la position américaine s’ouvre à l’idée du dialogue. Et ressemble de plus en plus à celle de Barack Obama.
Pour sa première visite au Conseil de sécurité de l’ONU vendredi, le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, a exercé la pression sur la Corée du Nord et a exhorté son allié chinois à isoler économiquement Pyongyang pour qu’il renonce à ses programmes nucléaire et balistique.
Le secrétaire d’État a présidé une réunion ministérielle exceptionnelle des 15 pays du Conseil de sécurité, où il a affirmé que «toutes les options » — y compris militaires — étaient envisagées pour faire plier le régime de Kim Jong-un. Il a toutefois assuré que Washington « préférait de beaucoup une solution négociée » diplomatiquement.
Patience stratégique
Plus tôt en journée, l’ancien patron de la pétrolière ExxonMobil était allé plus loin en affirmant sur les ondes de la radio publique NPR qu’il était ouvert à un dialogue direct avec Pyongyang.
La Corée du Nord s’était engagée en 2003 dans des négociations à six avec la Corée du Sud, le Japon, la Russie, les États-Unis et la Chine, avant que celles-ci n’achoppent en 2009. Barack Obama, alors fraîchement arrivé à la Maison-Blanche, s’était dès lors évertué à relancer les discussions. En vain.
Vendredi, le chef de la diplomatie américaine a ainsi renoué en partie avec l’approche privilégiée par Barack Obama qui avait été baptisée « Patience stratégique ».
« Le vice-président Mike Pence a dit [il y a une dizaine de jours] que l’ère de la Patience stratégique était terminée. Mais la position américaine ressemble de plus en plus à ça », affirme Benoît Hardy-Chartrand, spécialiste de la Corée du Nord au Center for International Governance Innovation.
L’approche privilégiée par Barack Obama en matière de sécurité consistait à user de pressions et de sanctions tout en restant ouvert au dialogue, résume M. Hardy-Chartrand.
Des nuances
Le gouvernement Trump s’inscrit de plus en plus dans cette approche, donc, mais à quelques différences près, note le chercheur. Il est notamment question d’imposer des «sanctions secondaires», inexistantes jusqu’ici. Ces sanctions sortiraient du cadre proprement nord-coréen pour cibler les entreprises chinoises qui font des affaires avec le pays des Kim. Si adoptées et appliquées, ces sanctions pourraient faire mal à la Corée du Nord, puisque 90% de ses échanges commerciaux s’ef fectuent avec la Chine.
Devant le Conseil de sécurité vendredi, Rex Tillerson a cité ce chiffre pour indiquer que «la Chine possède un levier économique sur Pyongyang qui est unique et [que] son rôle est particulièrement important». En présence de son homologue chinois, Wang Yi, il a dit attendre «des actions supplémentaires » de Pékin pour contraindre son voisin.
Benoît Hardy-Chartrand remarque que le gouvernement Trump mise davantage que le précédent sur la Chine dans le dossier nord-coréen. «Il met plus l’accent sur le rôle que peut jouer Pékin envers Pyongyang et fait davantage pression lui», dit-il.
Jeudi soir, Rex Tillerson faisait déjà montre de modération et se faisait rassurant en promettant que Washington «ne cherchait pas un changement de régime [en Corée du Nord], ni un effondrement du régime, ni quelque prétexte pour une réunification accélérée» des deux Corées. «Ce que nous cherchons, c’est la même chose que la Chine: la dénucléarisation complète de la péninsule» coréenne, avait-il insisté.
Incohérence
Presque au même moment, Donald Trump y allait pourtant d’une autre déclaration belliqueuse, en contraste avec celles de son secrétaire d’État : « Il y a une chance que nous finissions par entrer dans un conflit majeur, majeur avec la Corée du Nord. Absolument. Nous aimerions résoudre les choses diplomatiquement, mais c’est très difficile.»
Le président, qui a déjà menacé Pyongyang de frappes préventives, envoie-t-il à dessein des signaux contradictoires pour confondre ses ennemis? Est-il adepte de la «Madman therory» chère au président Richard Nixon, prêt à transpirer la folie pour dissuader toute forme d’acte hostile ?
Ce sont des hypothèses qui ne sont pas à exclure, répond Benoît Hardy-Chartrand, mais qui pèsent peu à côté du fait que le gouvernement Trump souffre de dysfonctions majeures. «Il est tout à fait possible qu’il y ait une déconnexion entre la Maison-Blanche et le département d’État, et que les différentes approches soient difficiles à coordonner. »
Le chercheur rappelle que le gouvernement Trump, qui marque ce samedi ses 100 jours, n’a pas de politique en bonne et due forme à l’égard de l’Asie et que plusieurs fonctionnaires au sein du département d’État — dont le secrétaire d’État assistant responsable de cette région — n’ont toujours pas été nommés.