La sensation des mots
Alix Dufresne fait briller les textes de treize poètes de la génération Y
NUITS FRAUDULEUSES Texte collectif. Mise en scène d’Alix Dufresne. Une production de J’le dis là. Au Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 13 mai.
La jeune auteure, metteure en scène, chorégraphe et interprète Alix Dufresne développe depuis quelques années un langage hybride, mêlant corps et mouvement. Elle met sa démarche au service des mots dans Nuits frauduleuses, sa première création dans le cadre de sa résidence à la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui. L’exercice, qui met en scène les textes de 13 poètes de la génération Y, s’avère aussi pertinent d’un point de vue littéraire que scénique.
Le travail d’Alix Dufresne rappelle à certains égards celui d’Étienne Lepage dans Ainsi parlait, ainsi que celui de Hanna Abdelnour dans Nombreux seront nos ennemis, un spectacle consacré à la poétesse Geneviève Desrosiers dans lequel Dufresne était d’ailleurs interprète. À son tour, la créatrice cherche comment faire vivre la poésie dans une forme véritablement théâtrale. Et sa proposition n’a rien à envier à celle de ses confrères.
Le collage de textes, conçu en collaboration avec Jérémie Francoeur, aussi interprète dans le spectacle dont il assume en outre la conception sonore, représente un excellent parcours dans la poésie québécoise actuelle. S’y succèdent les poèmes de Mathieu Arsenault, Daphné B., Marjolaine Beauchamp, Laurie Bédard, Alexandre Dostie, Benoit Jutras, Marc-Antoine K. Phaneuf, Daniel Leblanc-Poirier, Samuel Mercier, Steve Savage, Stéphane Surprenant et Maude Veilleux.
La voix de ses auteurs est aussi précise que précieuse, elle est drôle, puissante, ravageuse. Tous témoignent des préoccupations et de la vision du monde de la génération Y, la dernière à avoir connu le monde avant que les téléphones intelligents et les réseaux sociaux ne régissent notre quotidien. Ces poètes agitent les mêmes motifs que ceux soulevés dans les spectacles portant sur les Y qui se sont multipliés cette saison. L’inquiétude et le cynisme côtoient l’humour, la dérision, l’extase.
Faisant un excellent usage de l’espace réduit de la salle Jean-Claude Germain, la proposition scénographique d’Odile Gamache, tout en dénivellations, en recoins et en pente, sert efficacement de terrain de jeu aux quatre interprètes du spectacle.
Dans une arène toute bleue et capitonnée, ils s’activent dans le déséquilibre, le flottement, la chute, la bataille, l’affaissement et l’érotisme. Alors que ces états de corps dialoguent parfois éloquemment avec les mots, le rythme sportif (qui rappelle une séance d’aérobie) apparaît dynamique, mais moins signifiant.
Ludisme et intimité
Usant de changements de rythme, de ton et de posture, la représentation mise sur le ludisme et l’énergie contagieuse de ses interprètes. Certains tableaux se révèlent très réussis, la rencontre du corps et des mots faisant advenir le rapprochement sensoriel avec le spectateur qui intéresse Dufresne.
D’autres s’avèrent moins efficaces, et la charge des textes, qui requiert peut-être une prise de parole plus chargée, une adresse plus sensible, demeure alors inexploitée. La conception vidéo d’Antonin Gougeon et Gonzalo Soldi de HUB Studio est également inégale. Mais lorsqu’ils marquent des moments plus graves, la beauté des effets nous permet d’accéder à une intimité salvatrice.
Il est bon d’entendre résonner les mots des poètes, dont la place est réduite dans le milieu culturel et quasi inexistante sur la place publique. Les voir célébrés dans ce projet exploratoire, qui en plus fait réfléchir à la manière dont la poésie peut résonner sur la scène, nous donne l’envie d’aller à sa recherche dans les rayons des librairies.