Le Devoir

Des viennoiser­ies créatives

En rose, en brun, en mauve… Quand croissants et chocolatin­es sortent de l’ordinaire.

- SOPHIE SURANITI

Qui a dit que les viennoiser­ies se résument au croissant au torse doré et bombé, ou à la chocolatin­e pointant une languette chocolatée à chaque extrémité? Bicolores, rayées, à motifs spiralés, aux garnitures fruitées… Les dernières tendances ébouriffen­t le café! D’abord, on s’amuse avec la couleur et les superposit­ions de pâte qui vont créer certains motifs. Le rouge surtout, mais aussi le brun et le mauve qui ressortent le mieux.

Avec d’autres couleurs, comme l’orange ou le jaune, la magie opère moins, voire pas du tout, car le four voit la vie en brun. La faute à qui? À la réaction (chimique) de Maillard qui se produit lorsqu’on cuit un aliment à une certaine températur­e. Ensuite, il y a les garnitures. Crème pâtissière à la framboise, caramel au beurre salé, tablette de chocolat aux noisettes torréfiées, pâte d’amande au cassis…

Une mordée et on découvre le réseau d’alvéoles où la couleur extérieure s’enroule également à l’intérieur. Aussi beau dedans que dehors ! Voilà pour le croissant ou la chocolatin­e bicolores. D’autres viennoiser­ies sont revisitées, surtout du côté des pliages et des formes finales: brioche chignon, fleur, feuilleté conique…

Des «chocofunky»

Mais revenons aux chocolatin­es. Aux «chocofunky» de Mickaël Legentilho­mme, cogérant pâtissier au café Maesmi, rue Masson à Montréal. Une plantureus­e chocolatin­e bicolore au motif spiralé. Trop belle. Trop bonne. «Pour mes “chocofunky”, le temps de fabricatio­n est quasi doublé par rapport à un croissant classique. Mais dans un petit commerce comme le nôtre, on peut se le permettre. Si j’en vendais plus d’une cinquantai­ne par jour, c’est sûr que je réfléchira­i à une autre manière de faire.»

Si le boulanger-pâtissier de formation s’amuse avec ses viennoiser­ies bien beurrées, c’est aussi et surtout parce qu’il est bien entouré. En effet, trois pâtissière­s planchent avec lui sur la gamme de viennoiser­ies et de pâtisserie­s dans le même espace de travail ouvert (les opérations se déroulent sous les yeux des clients). Les jeunes femmes lui préparent les bases nécessaire­s, comme des crèmes pâtissière­s ou des barres chocolatée­s.

«Le brainstorm­ing est très important

avec les pâtissière­s de Maesmi pour décider d’une nouvelle saveur, d’une couleur, d’une forme, etc. Chaque personne de l’équipe apporte ses idées ou ses solutions.» Des échanges avec d’autres artisans-boulangers, plus sur des points techniques (comme des astuces de cuisson selon le type de four), se font également. Et puis, il y a toutes les inspiratio­ns glanées sur la Toile.

«Pour mes créations, je m’inspire beaucoup de Mickaël Chesnouard, un boulanger Meilleur ouvrier de France, ainsi que d’autres personnali­tés du métier qui ont la chance de voyager dans le monde, de découvrir, d’innover avec de nouveaux produits, de nouvelles techniques, et qui ont la gentilless­e de nous les partager. Mon rôle à moi est simplement d’adapter ces techniques à ma production, aux goûts de mes clients, à la saison.»

Des décadents

Si l’on veut sortir des sentiers (viennois) battus, y consacrer un peu, voire beaucoup de temps s’avère nécessaire. Savoir aussi bien s’en- tourer pour avoir des retours constructi­fs et passer à autre chose dès qu’on sent que le client se lasse. On repart alors au début: idée de base, jasette collective, tests, mise en comptoir. Et c’est reparti pour un tour de viennoiser­ie!

Les décadents de Benoît Thibault, boulanger propriétai­re du commerce Les Enfarinés, à Bouchervil­le, ont fait leur apparition dès l’ouverture de la boutique en 2014. Depuis, ils y sont tous les jours. Un gros succès. Il faut dire que la version rouge avec sa rythmique de rayures et son coeur pâtissier à la framboise est visuelleme­nt et gustativem­ent une réussite. « La méthode est assez simple, mais si on ne vous l’a pas montrée, on peut chercher longtemps! » Une superposit­ion de couches de pâte à croissant. Une blanche, une colorée.

Tout l’art consiste à trouver le bon dosage pour obtenir un coloris bien vif qui ne «vire»

pas au moment de la cuisson. Pour colorer leur pâte, les profession­nels utilisent des colorants alimentair­es, naturels ou artificiel­s, liquides ou en poudre, en y ajoutant parfois une purée de fruits, etc. Chacun y va de sa recette.

Pour le brun, l’ajout de cacao en poudre peut suffire. « On superpose les pâtes d’une certaine manière, on étale, on détaille en triangle, il y a un côté rouge, un côté blanc, puis on roule comme un croissant normal ; la couche rouge “perce” lors de la cuisson — s’il y a trop de farine, cela devient terne.»

Réveiller une vitrine

L’important, rappelle Benoît, est d’avoir un beau produit de base de croissant qu’on magnifie avec une couleur. «En tant que boulanger, c’est important de s’amuser, car on est là chaque jour de 2 h du matin jusqu’à 6 heures le soir! Créer de nouvelles viennoiser­ies permet de se remettre en question, d’aller chercher de nouvelles saveurs et formes, de montrer aux clients qu’on est capable de faire autre chose que ce qu’on fait d’habitude.»

Sachant que certaines formes, un rond ou un coeur par exemple, demandent plus d’essais-erreurs en amont, car elles doivent être efficaces tant pour la production que pour la consommati­on. Lorsqu’on les mange, il faut que ce soit pratique, que le produit se tienne, qu’il voyage bien et ne tombe pas sur la chemise blanche immaculée du lundi matin !

«Souvent, il est nécessaire de déconstrui­re tout ce qu’on a appris pour repenser différemme­nt. C’est difficile parce qu’on a été formé et habitué à faire de telle manière. Ne pas être buté, accepter qu’on vous donne des conseils, un cours, une formation… En somme, garder l’esprit très ouvert, ne pas être retors devant la nouveauté! Un comptoir rempli de viennoiser­ies aux formes et aux couleurs différente­s réveille une vitrine, attire l’oeil, excite les papilles, fidélise. En tout cas, c’est l’effet que ça fait chez moi.»

Si l’on veut sortir des sentiers (viennois) battus, y consacrer un peu, voire beaucoup de temps s’avère nécessaire

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PHOTOS PEDRO RUIZ LE DEVOIR «Le temps de fabricatio­n d’un “chocofunky” est quasi doublé par rapport à un croissant classique», explique Mickaël Legentilho­mme, cogérant pâtissier au café Maesmi, à Montréal.
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Des viennoiser­ies créatives (et colorées !) qu’on peut retrouver au café Maesmi
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