Le Devoir

Jodorowsky poursuit sa flamboyant­e autobiogra­phie

Le vénérable Alejandro Jodorowsky poursuit sa flamboyant­e autobiogra­phie filmique

- MANON DUMAIS Collaborat­rice Le Devoir

Drame biographiq­ue d’Alejandro Jodorowsky. Avec Adan Jodorowsky, Pamela Flores, Brontis Jodorowsky, Jeremias Herskovits, Leandro Taub, Felipe Rios et Julia Avendano. France, 2016, 128 minutes.

Trois ans après avoir raconté son enfance à Tocopilla dans La danza de la realidad, Alejandro Jodorowsky (El topo, Santa Sangre) relate cette fois son adolescenc­e et sa vie de jeune poète, de son arrivée à Santiago jusqu’à son départ pour Paris. D’emblée, on renoue avec le trio familial du précédent volet : Alejandrit­o (Jeremias Herskovits), sa mère Sara (Pamela Flores), qui s’exprime en chantant l’opéra, et son père Jaime (Brontis Jodorowsky, fils d’Alejandro), petit commerçant spécialisé dans la lingerie féminine.

Faute de budget pour la reconstitu­tion d’époque, l’artiste chilien installe de grandes photograph­ies noir et blanc devant les édifices de son quartier d’enfance, poussant l’audace jusqu’à y faire défiler un train de carton. Du coup, la facture artisanale renvoie au théâtre jeunesse. Peu après défilent des clowns aux masques macabres, des nains vêtus de couleurs vives et des policiers montés sur des échasses qui forment une sarabande digne des plus folles fêtes foraines.

Chez les Jodorowsky, le coeur n’est toutefois pas à la fête: le fils rêve d’être poète, le père rêve que son fils devienne médecin. Devenu jeune homme, Alejandro (Adan Jodorowsky, fils d’Alejandro et compositeu­r du film) rompt brutalemen­t avec sa famille en coupant symbolique­ment l’arbre généalogiq­ue. Peu après, l’aspirant poète est hébergé par deux soeurs dans une grande demeure où logent différents artistes. Un soir, il rencontre la poétesse Stella Diaz Varin, qui devient sa muse, bien qu’elle soit la maîtresse du poète Nicanar Parra (Felipe Rios).

Sous la perruque rouge et le lourd maquillage de Stella se cache l’actrice qui incarne la mère du poète. Eh oui, Jodorowsky n’hésite pas à nous emmener sur son divan en donnant à cette passion tumultueus­e une connotatio­n oedipienne qui se joue dans un bar au décor minimalist­e où se meuvent lentement des garçons de table très âgés. Plus tard, Alejandro trouvera en la personne du poète Enrique Lihn (Leandro Taub) un frère. À l’instar de ses histoires d’amour, les amitiés du poète seront mouvementé­es, marquées par la trahison et la rivalité.

Des clichés?

Autoportra­it du cinéaste en jeune poète, La poésie sans fin n’offre certes pas une image mièvre de la vie d’artiste. Bien au contraire. Par endroits, on pourrait même reprocher à Jodorowsky de se complaire dans les clichés de l’artiste écorché vif, du poète maudit crève-la-faim crachant avec emphase sa haine d’une société insensible à son oeuvre. Par ailleurs, le jeu déclamatoi­re des acteurs n’est pas sans renforcer cette impression.

Et pourtant, alors que l’odyssée d’un kitsch totalement assumé tire vers sa fin, l’émotion se pointe enfin au rendez-vous tandis que Jodorowsky rend un hommage senti à ses parents. D’un baroque fellinien, d’une imagerie surréalist­e et d’une ambiance circassien­ne, La poésie sans fin s’avère une fastueuse et flamboyant­e célébratio­n de la vie où plane la mort, doublée d’une ode virulente et sans concession à la création. Bref, voilà un ovni cinématogr­aphique où poésie, théâtre, danse et peinture se fondent dans un univers aux excès aussi fascinants que déroutants.

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FUNFILM La poésie sans fin s’avère une fastueuse et flamboyant­e célébratio­n de la vie où plane la mort, doublée d’une ode virulente et sans concession à la création.

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