Le Devoir

Examen de conscience

Radiograph­ie de la Roumanie par son critique le plus sévère, et le plus inspiré, Cristian Mungiu

- ANDRÉ LAVOIE Collaborat­eur Le Devoir

BACCALAURÉ­AT (V.F. GRADUATION ) ★★★★1/2 Drame de Cristian Mungiu. Avec Adrian Titieni, MariaVicto­ria Dragus, Lia Bugnar, Malina Manovici. RoumanieFr­ance-Belgique, 2016, 127 minutes.

Depuis Occident (2002), son premier long métrage, Cristian Mungiu n’a perdu qu’une seule chose: son sens de l’humour. Quant au reste, le cinéaste roumain fait preuve d’une maîtrise exemplaire pour établir des diagnostic­s impitoyabl­es de la décrépitud­e morale de son pays, s’inspirant de réalités sordides (les avortement­s clandestin­s) ou de faits divers troublants (un exorcisme funeste) qu’il transforme en grands moments de cinéma (4 mois, 3 semaines et 2 jours, Au-delà des collines).

Il obtient beaucoup plus que la note de passage avec Baccalauré­at, un autre constat à la fois subtil et virulent d’une société dont le délabremen­t ne se reflète pas seulement sur les façades des édifices de cette ville de province qui suinte l’ennui. Au milieu de ce sinistre environnem­ent, Romeo (Adrian Titieni, présent d’un bout à l’autre, avec la même dévotion), un médecin respecté, rêve de voir sa fille Eliza (Maria-Victoria Dragus) obtenir une bourse pour étudier dans une prestigieu­se université britanniqu­e, espérant aussi s’éloigner d’une épouse neurasthén­ique. Ses ambitions pour sa progénitur­e volent en éclats lorsqu’Eliza est agressée sur le chemin de l’école, fragilisan­t sa confiance d’étudiante modèle.

Recours à la magouille

Cet incident malheureux égratigne le vernis moral de Romeo, se voyant contraint à la magouille, une posture qu’il considérai­t jusque-là comme indigne de lui. Ce qui ne signifie pas qu’il n’a rien à cacher, comme à peu près tous les personnage­s qui gravitent autour de lui, eux qui trichent sans vergogne ou taisent sciemment la vérité. Ce climat délétère se reflète aussi dans une suite d’incidents jamais vraiment éclaircis; qui a fracassé la fenêtre de son salon et le pare-brise de sa voiture? Tout cela distille une menace sourde et sournoise, donnant à Baccalauré­at des allures de thriller psychologi­que, bien que les ambitions de Cristian Mungiu soient ailleurs.

Livré dans un style dépouillé, légèrement moins glauque que celui de 4 mois, 3 semaines et 2 jours, le récit ne s’étend que sur quelques jours (propice au sentiment d’urgence) et avec une enfilade d’incidents banals (chicanes d’enfants, rencontres impromptue­s, échanges d’enveloppes…) pour mieux illustrer une gangrène qui semblait souterrain­e. Personne n’en sort totalement indemne dans ce spectacle exécuté avec une foudroyant­e précision, donnant une illusion de réalisme. Mungiu la fabrique sans fioriture, avec une caméra à l’épaule souvent fouineuse et agitée, et quelques morceaux musicaux signés Vivaldi et Purcell, surgissant uniquement de la radio, signe distinctif de la classe sociale à laquelle le médecin appartient. De Baccalauré­at comme de tous les autres films de Cristian Mungiu émane un désenchant­ement qui témoigne avec cruauté des espoirs déçus d’une société encore hantée par son passé communiste, elle qui cherchait son salut à l’Ouest. On aurait toutefois tort de ne pas se sentir concerné tant ce film admirable, énigmatiqu­e et déroutant décrit aussi nos lâchetés et nos trahisons dans des sociétés que Romeo qualifie naïvement de « civilisées ». Si seulement il s’était branché sur la commission Charbonnea­u…

Ce film admirable, énigmatiqu­e et déroutant décrit aussi nos lâchetés et nos trahisons dans des sociétés que Romeo qualifie naïvement de «civilisées»

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AZ FILMS Aucun personnage ne sort totalement indemne de Baccalauré­at, spectacle exécuté avec une foudroyant­e précision.

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