Norman, le vieux renard
L’Américain Richard Gere trouve le rôle de sa vie chez l’Israélien Joseph Cedar
NORMAN THE MODERATE RISE TRAGIC FALL AND NEW YORK FIXER OF A ★★★1/2 Drame de Joseph Cedar. Avec Richard Gere, Lior Ashkenazi, Michael Sheen, Steve Buscemi, Dan Stevens, Harris Yulin, Charlotte Gainsbourg et Hank Azaria. États-Unis, 2017, 117 minutes.
Peu après la guerre de Trente Ans, les têtes couronnées d’Allemagne s’offraient les services de financiers juifs afin que leur domaine redevienne prospère. L’un d’eux, Joseph Süss Oppenheimer, condamné pour escroquerie et plusieurs autres délits, fut pendu. Ce n’est littéralement pas ce qui attend Norman Oppenheimer dans Norman: The Moderate Rise and Tragic Fall of a New York Fixer de Joseph Cedar (Footnote, Beaufort), mais disons qu’à force de mensonges, de promesses en l’air et de manoeuvres douteuses, celui-ci se pendra avec sa propre corde.
Opiniâtre et beau parleur, Norman Oppenheimer (Richard Gere, magistral) arpente les rues de New York, où il traque les hommes d’affaires afin de les embarquer dans ses magouilles. Un jour, il prend dans ses filets un ambitieux politicien israélien, Misha Eshel (Lior Ashkenazi, impeccable). Pour l’amadouer, Norman va jusqu’à lui acheter une paire de chaussures griffées. Trois ans plus tard, Eshel est élu premier ministre d’Israël. Lors d’un passage à New York du politicien, qui n’a pas oublié cet homme si généreux, prêt à rendre service et semblant connaître tout le monde à New York, Norman compte bien profiter de cette amitié intéressée.
Ainsi, le riche homme d’affaires (Harris Yulin) et son assistant (Dan Stevens) qu’il courtise depuis des années ne le regardent plus de la même façon. Son neveu avocat (Michael Sheen) croit que Norman a enfin misé sur le bon cheval, et son rabbin (Steve Buscemi), qu’il pourra sauver la synagogue de son quartier. Contre toute attente, et peu de temps après avoir croisé une mystérieuse femme (Charlotte Gainsbourg), Norman se retrouve au coeur d’une crise géopolitique. Comble de l’ironie, le voici aussi harcelé par un homme qui souhaite suivre ses traces (Hank Azaria).
Conte savoureux
Réactualisant le destin tragique du juif de cour Oppenheimer, Joseph Cedar signe un savoureux et judicieux conte urbain sur l’ambition et la corruption que n’aurait pas renié Woody Allen. De fait, ce ne sont pas les dialogues denses et spirituels qui manquent dans cet étourdissant drame teinté d’humour, de même que les réflexions sur l’héritage juif.
Tirant profit des différents décors que lui offre la Grosse Pomme, Cedar tisse un récit complexe avec la même habileté que Norman emberlificote son monde. S’il fait montre de moins d’inventivité que pour Footnote, duel père-fils campé dans le milieu universitaire, le réalisateur israélien parvient à créer subtilement un climat de tension suffocant, lequel illustre à la fois le sentiment d’oppression des victimes de Norman et l’étau se resserrant avec une logique implacable autour de lui.
Porté par une trame sonore mélancolique aux chaleureux accents jazz et klezmer, ce drame demeure captivant et tendu jusqu’au dernier plan, alors que Cedar dénoue en peu de mots les différentes intrigues du récit et que Richard Gere, qui trouve ici le plus grand rôle de sa carrière, lance un dernier regard où se lit toute l’humanité de ce personnage pourtant amoral.